J'éprouve d'immenses regrets à refermer ce troisième tome. Les personnages vont me manquer. L'univers va me manquer. Les intrigues vont me manquer.
Quand je pense au chemin que les personnages ont parcouru, j'en reste bouche bée. Les épreuves ont entrainé la maturité pour les uns, la folie pour les autres. Malta, prisonnière d'une barque sur le fleuve des Pluies avec le Gouverneur Cosgo et sa Compagne Keki, devient une femme. Une vraie. Une qui en a dans le soutif. Une qui apprend à prendre des décisions. À voir plus loin que le bout de son nez.
Son destin est absolument fantaisiste, quand on y pense. Petit récapitulatif de la fin du deuxième tome : la ville où elle vivait a subi une guerre civile ; son fiancé a profité de la panique générale pour l'enlever ; une fois dans le désert des Pluies, elle explore les ruines de Trehaug, appelée par une voix étrange qui est en fait une dragonne enfermée dans son cocon. Possédée par son esprit, elle lui permet d'éclore, faisait pratiquement s'effondrer sur elle la cité engloutie. Elle arrive à s'enfuir grâce aux souvenirs des Anciens morts et sauve du même coup le Gouverneur et sa favorite. Mais ils émergent du mauvais côté de la ville et doivent prendre un canoë pour tenter de rejoindre Trois-Noues. Ils doivent faire vite : les eaux du fleuve sont acides et rongent le bois.
Au début de ce volume, on apprend que le courant est trop fort, qu'ils dépassent la cité sans pouvoir s'y arrêter. C'est alors que Malta fait ses dernières prières qu'un navire chalcédien les intercepte. Que fait-il sur le fleuve ? Keki, Chalcédienne de naissance, connaît parfaitement les us et coutumes de ce peuple et est la seule à pouvoir sauver Malta d'une vie d'esclave. Mais elle a bu l'eau du fleuve, et est mourante. La jeune fille se retrouve seule à devoir manœuvrer les hommes pour les empêcher de l'agresser sexuellement, trouver une solution pour ne pas finir en Chalcède (où elle ne serait même pas considéré comme un être humain), rester dans les bonnes grâces du Gouverneur pour qu'il ne l'abandonne pas aux mains de l'équipage, tout en s'assurant que cet enfant dans un corps d'adulte conserve toute son autorité sur leurs kidnappeurs. Un équilibre difficile à tenir…
Les épreuves font de Malta une femme forte, déterminée à survivre. La petite peste qui méprisait toute personne n'ayant pas sa superficialité est morte. Et j'en suis très heureuse. Elle commence à avoir de véritables sentiments envers Reyn – bien plus profonds que l'attirance intéressée qu'elle éprouvait pour Cervin Trell.
Peut-être parce qu'elle est tout simplement devenu quelqu'un de plus profond…
De leur côté, Althéa, Brashen et Ambre ont décidé, avec le concours de Ronica et Keffria, de remettre le Parangon à flot, de réunir un équipage et de tirer Vivacia des griffes de Kennit. Le projet est semé d'embûches : Parangon est bipolaire, navigant entre le cynisme, le pusillanime, et la rage. Entre ces trois états, quelques fois du calme. Il faut sans arrêt l'apaiser, l'empêcher de peser sur le moral des matelots, assurer la cohésion de l'équipage – et la position de lieutenant d'Althéa n'est pas pour arranger les choses, dans cet univers si machiste. C'est incroyable de voir ce qu'elle est obligée de faire pour être traitée avec respect.
Kennit, Etta et Hiémain, pour leur part, cohabitent encore. Le pirate a un nouveau projet : faire en sorte que le jeune garçon et sa compagne aient un enfant. Enfant qui lui permettrait de continuer à naviguer avec Vivacia et qui sera beaucoup plus manipulable que Hiémain. Et malheureusement, Hiémain commence effectivement à développer une attirance coupable envers la jeune femme. Mais suite au miracle de la fin du second volume (où Kennit, par la force de sa volonté, aurait ordonné à un serpent de pousser leur barque jusqu'à Vivacia), le jeune homme commence à croire que le pirate est effectivement l'envoyé de Sa et qu'il est son prophète. Comment trahir un homme pareil ?
En somme, ce troisième volet est le bouquet final de la trilogie – celui que j'ai lu avec le plus de gourmandise. Robin Hobb apporte toutes les réponses aux questions que je me suis posées : pourquoi la personnalité de Parangon est aussi instable (je pensais que c'était à cause de son passé traumatisant, mais il n'y a pas que cela. C'est la seule vivenef constituée à partir de DEUX fûts de bois sorcier. Sa psyché est donc en trois morceaux : les Ludchance, et deux dragons). Curieusement, on dirait que c'est le seul navire à peu près conscient de sa nature de dragon depuis le début, qui est Ambre, quel est son objectif…
Je suis persuadée qu'elle est le fou. La faute à ce dialogue avec Parangon, concernant des amis dans les Six-Duchés qu'elle n'aurait pas vu depuis très longtemps. La faute à ce visage qu'elle sculpte à Parangon : un jeune garçon imberbe avec une queue de cheval de guerrier. Un jeune homme qui aurait dû avoir les yeux bruns, et non pas bleus comme ceux du navire.
Fitz ?
Sérille et Tintaglia m'ont grandement déçue dans leur évolution. Sérille, cédée par le Gouverneur comme jouet sexuel pour le capitaine du navire, devient obsédée par le pouvoir et par l'idée de ne plus jamais laisser un homme diriger sa vie. Une fois installée à Terrilville, elle ne cesse de se mêler de la vie politique de la ville sous prétexte qu'elle représente le Gouverneur, s'attribue beaucoup trop de pouvoirs, affiche sa richesse quand la grande majorité des habitants ont tout perdu. Elle met tout le temps les pieds dans le plat, refuse de voir que la situation empire par sa faute, n'écoute pas Ronica, dont la patience est mise à rude épreuve. Et pourtant, elle est supposée être la spécialiste de la culture terrilvillienne…
D'ailleurs, l'empire de Jamaillia ne compte-t-il que deux cités ? Jusqu'où s'étend-t-il ? Pourquoi Chalcède n'essaye jamais d'attaquer par la voie terrestre ? Y-a-t-il des montagnes infranchissables ? Est-ce le fleuve acide qui les empêche de passer ?
Quant à Tintaglia, elle fait preuve d'un orgueil démesuré et d'une grande stupidité face aux flatteries. Surtout pour une créature dont les souvenirs et la sagesse remontent à plusieurs millénaires. Sa fâcheuse tendance à prendre les humains pour des serviteurs est pénible, voire clichée. C'est trop facile.
Un autre petit détail qui m'a agacée, c'est le fait qu'on insiste autant sur la ressemblance physique entre Althéa et Hiémain. Les proches du jeune homme s'extasient sans cesse : « C'est Hiémain, mais avec un corps de femme. » Faut pas exagérer, ce ne sont pas des jumeaux ! C'est une tante et son neveu, bon sang ; même des frères et sœurs ne se ressemblent pas comme ça.
Mais bon, d'un autre côté, cette ressemblance permet de comprendre la psyché de Kennit au travers d'une scène absolument révoltante.
Pour moi, Les Aventuriers de la mer se situe au-dessus de L'Assassin royal en termes de qualité. La principale raison ? On suit plusieurs personnages et il n'y a pas de narration à la première personne du singulier. J'ai trouvé qu'il y avait moins de longueurs ; on passe d'un narrateur à l'autre assez facilement et on a beaucoup moins de temps pour s'appesantir sur les souffrances des uns et des autres. C'était le gros défaut de Fitz : il a le profil d'un martyr. Il broie du noir, ressasse son malheur et n'essaye pas d'aller de l'avant. Dans cette saga, on est scandalisé du manque d'empathie de certains, qui causent d'énormes torts aux autres. On est ballottés de personnages en personnages, d'événements en événements. Incrédules et fascinés face à la cruauté humaine.
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