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Critique de Antyryia



Vous souvenez-vous de l'exposition parisienne controversée "Our Body, à corps ouvert" ? En 2009, à Paris, espace Madeleine, une vingtaine de cadavres étaient exposés à des fins mi-artistiques, mi-éducatives.
Une exposition qui a finalement été jugée illégale par la Cour de Cassation.

Transformer les corps de ses victimes en oeuvres d'art, en reproductions de célèbres dessins ou peintures pour être plus précis, est justement le hobby du tueur en série qui sévit dans le roman de la Fribourgeoise Marie-Christine Horn.
Et comme l'action se situe dans la région lausannoise, et qu'à Lausanne se situe le célèbre musée de la collection de l'art brut, c'est en s'inspirant de ce patrimoine culturel que ces meurtres aux macabres mises en scène auront lieu.
"ils étaient bel et bien face à un tueur en série qui transformait les cadavres de ses victimes en oeuvres d'art brut."

L'assassin s'inspirera d'artistes réels : Josef Hofer ( "le sexe de la femme dessinée avait été gratté jusqu'à la feuille, offrant au regard une béance blanche" ), Paul Gosch, Pascal-Désir Maisonneuve,  Sylvain Fusco, Josep Baqué. Autant d'artistes aux oeuvres extrêmement différentes que les plus curieux pourront visualiser sur internet.
Vous imaginerez ensuite l'état dans lequel on peut retrouver un cadavre inspiré de leurs toiles.
"Quel message voulait on transmettre en transformant des corps en oeuvres d'art brut ?"

Quant à cet art, si vous ignorez ce dont il s'agit exactement - ce qui était mon cas avant cette lecture -, il en est donné quelques définitions sommaires dans le roman : "le terme d'art brut avait été inventé par Jean Dubuffet et était le prolongement, entre autres, des travaux d'un certain docteur Hans Prinzhorn sur "l'art des fous", "l'art brut regroupe une catégorie d'artistes catalogués hors normes et hors des diktats de la société. Ca, c'est la définition lambda. Pas d'école d'art, pas de règles, aucune imposition des matières ou respect des dimensions, structures, techniques."
Indissociable initialement de la folie, l'art brut et la psychiatrie seront justement les deux principales thématiques du roman.
"Tu savais que de nombreuses personnes estiment que les oeuvres produites par des hommes et des femmes souffrant de troubles psychiatriques sont une des clés de compréhension de l'âme humaine ?"

La majeure partie de l'action se déroule au sein de l'hôpital psychiatrique de la Redondière, ou concerne son personnel. Cet établissement dont les occupants - qu'il s'agisse des médecins, des infirmiers ou des patients - sera au coeur du récit.
Les malades qui y sont internés sont répartis en catégories : les tentatives de suicide au deuxième étage, les toxicomanes au premier, et bien sûr il y a également les fous dangereux, les criminels jugés irresponsables, au sous-sol.
"Le sous-sol de la Redondière offrait un échantillonnage des plus dangereux cas de maladies psychiques, et on leur imposait en guise de chaperons des gens à l'expérience inexistante."
On retrouve dans cette zone sécurisée un quartier masculin avec notamment un jeune zoophile au complexe oedipien, un sadique particulièrement dangereux, des pédophiles... Et dans celui des femmes une nymphomane atteinte du VIH, une exhibitionniste qui se mutile ( "Elle s'était dévêtue et s'était lacéré les bras à l'aide d'un économe à légume" ) et surtout Corinne Faller, ancienne artiste désormais mutique, léthargique, qui quand elle a le sentiment d'être acculée peut mordre ses médecins ou leur projeter ses excréments. Violée par son mentor, un célèbre peintre dont elle suivait les cours aux Beaux-Arts, elle perdra alors son peu de raison et le tuera de trente-cinq coups de couteau. Elle a d'ailleurs peint des fresques avec son propre sang ou avec celui de sa victime ( "Sur les rapports des gendarmes, il était écrit qu'un pénis lui servait de pinceau." )
Quant au titre du roman, si vous pensiez que la couleur rouge était justement celle du sang coulant à flots, sachez que "Tout ce qui est rouge est diabolique" est une phrase prononcée par August Walla, autre artiste brut qui avait alors neuf ans, et qui sera diagnostiqué par la suite schizophrène puis interné.
Pour autant, les toiles rouges de Corinne laissent bien cette impression : "On y distinguait une mare de sang en mouvement, un lac rouge et vivant, une vague d'hémoglobine emprisonnée, impatiente et pressée d'émerger du support, qui ne tarderait pas à déborder et à dégouliner le long du mur en une explosion sanguinolante."
Ces personnes seront soignées tant par le dialogue, la création de liens, la lecture d'histoires, l'art-thérapie que par la médication lourde de tranquillisants.

C'est Nicolas Belfond qui a été propulsé responsable de cette unité, davantage grâce à ses aptitudes physiques lui permettant de se défendre face aux agressions, qui sont monnaie courante à la Redondière. Consciencieux, attentif au bien être des malades, il ne se fera pas que des amis en privilégiant des attitudes constructives même envers les pires criminels qu'une partie de son personnel ne supporte pas, estimant que leur place est en prison ou au cimetière. Principal personnage du livre, il est aussi un coureur de jupons invétéré, toujours à la recherche d'une nouvelle conquête, ce qui expliquera sa rupture avec une dénommée Anne qui le mettra à la porte et sa recherche d'appartement dans les petites annonces journalistiques. Malgré ses défauts, c'est un homme très attachant, ce qui ne m'a pas empêché de m'amuser de ses multiples déboires professionnels, sentimentaux ou judiciaires.

Pour l'enquête, on retrouve l'inspecteur Rouzier, déjà  présent dans un précédent roman policier de Marie-Christine Horn, la piqûre. Mais son rôle demeure secondaire et sa vie privée n'est quasiment pas évoquée, et pas un instant je n'ai été perturbé de ne pas avoir lu sa première enquête. A charge pour lui de résoudre ces meurtres, avec pour première victime une infirmière renvoyée de la Redondière aux graves manquements professionnels et dont on retrouvera le corps déguisé et mutilé : sexe charcuté au scalpel recouvert d'une feuille blanche, perruque rose,
appareil auditif alors qu'elle n'était pas sourde.

Roman policier moderne davantage que thriller, l'éditeur en parle comme d'un roman noir avec une dimension sociale et psychologique. C'est vrai pour l'aspect social : Outre son intrigue et la recherche du coupable on en apprend beaucoup sur les difficultés quotidiennes de ce genre d'établissement : les problèmes d'effectifs, la difficulté que représentent les soins, certains dilemmes moraux également ( quelles erreurs dénoncer, qui réinsérer ou non dans la société ), les raisons qui peuvent faire basculer un être humain dans les abysses de la démence, mais avec un trait volontairement grossi. La dimension psychologique est moins présente mais c'est une bonne chose. C'est justement parce que les personnages sont assez caricaturaux que le roman se lit aussi bien, et que son côté décalé fonctionne tant y compris dans des scènes qui auraient pu heurter certaines sensibilités.

Parce que le gros point fort du roman, c'est son humour. Pas très subtil, il est plutôt cocasse. Les petites réflexions des uns et des autres, les quiproquos et les situations qui prêtent à sourire de bon coeur sont légion. A titre d'exemple, quand Nicolas Belfond est convoqué par Rouzier au sujet d'Irène Volluz, l'infirmière retrouvée morte, il a dans sa poche sans le vouloir l'article correspondant au meurtre, les annonces immobilières se situant au verso de la feuille de journal, ce qui fait de lui d'emblée le suspect idéal.
Les personnages sont tous très hauts en couleur, et même s'ils peuvent paraître stéréotypés parfois, leurs réactions et leurs défauts offrent des moments savoureux. Qu'il s'agisse du médecin-légiste, des patients, de Nicolas qui découvre l'amour ou du directeur de l'établissement psychiatrique davantage préoccupé par la réputation de la Redondière que par le sort funèbre de certains membres du personnel soignant, chaque personnage offre à un moment l'occasion de s'amuser en lisant en dépit de la gravité des évènements.

Un grand merci à Babelio et aux éditions l'âge d'homme pour m'avoir fait parvenir ce roman, à la couverture très réussie d'Alex Kanevsky, illustrant particulièrement bien l'histoire.
Tout ce qui est rouge a été une lecture agréable, au sujet original, qui m'a incontestablement fait passer un excellent moment de lecture.
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