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Critique de DETHYREPatricia


C'est un peu par hasard que je suis tombée sur ce livre en brocante. Passionnée par tout ce qui concerne la Seconde guerre mondiale, et notamment les témoignages et récits de vies d'ex-déportés ou résistants, je ne pouvais que m'intéresser au récit de Mireille Horsinga-Renno qui, par la figure d'un grand-oncle retrouvé par hasard suite à une enquête sur la généalogie de sa famille, évoque un pan quelque peu méconnu de l'Histoire nazie : l'extermination systématique des personnes handicapées physiques et mentales à des fins de purification de la race aryenne !

Il ne s'agit donc pas d'un roman, mais bien le récit de l'histoire vécue par l'auteure, jeune femme de 25 ans et récemment maman, qui décide un jour d'aller à la recherche de ses ancêtres pour mieux informer sa future descendance de ce qu'ils furent. Une démarche somme toute bien ordinaire et qui peut concerner tout un chacun.

Dans ce livre présenté comme "La bouleversante enquête d'une femme sur un médecin de la mort impuni", on suit l'auteure dans ses recherches jusqu'au jour où elle découvre un grand-oncle encore vivant : Georg Renno (ancien médecin), installé en Autriche avec sa femme. Un long échange de correspondances s'ensuit au cours duquel Mireille apprend à connaître et à apprécier son grand-oncle qui lui dévoile des pans inconnus de l'histoire de sa famille et la met sur la piste d'autres membres de celle-ci. Il lui témoigne un grand intérêt affectif et partage avec elle ses différentes passions et sa grande culture.

Quand les appels téléphoniques et les lettres ne furent plus suffisants, la nécessité d'une visite s'est imposée. C'est au cours de l'une d'entre elles que l'auteure ose interroger son grand-oncle sur la façon dont, lui, a traversé la Seconde guerre mondiale (son père à elle a été enrôlé de force par les Allemands parce qu'il était Alsacien et est revenu très meurtri du front russe). Là, sans donner aucune précision sur la réalité de son vécu, l'auteure découvre presque malgré elle un pan obscur de la personnalité de son grand-oncle : il épouse totalement les thèses des négationnistes et refute totalement l'idée qu'il ait pu y avoir des chambres à gaz (ça vous rappelle quelqu'un ?). Contrariée par cet état de fait et cherchant à vérifier (ou confronter) les dires de son grand-oncle, elle se documentera largement sur ces questions.

Et un jour, pendant son petit-déjeuner au cours duquel elle lisait un des livres achetés pour se documenter sur la question, elle découvre écrit noir sur blanc le nom de son grand-oncle directement associé à l'un des épisodes les plus tragiques de la Seconde guerre mondiale : dans un premier temps la stérilisation, puis l'extermination des personnes handicapées du IIIe Reich (nom de code : Aktion T4). Une période : entre 40 et 44, un lieu est mis en avant : le château de Hartheim, en Autriche.

Horrifiée par ce qu'elle lit, qui ne semble en rien "coller" avec le ressenti qu'elle éprouve au contact de son grand-oncle, Mireille Horsinga-Renno n'aura de cesse de mener l'enquête. Car, au-delà de sa propre famille, elle a immédiatement conscience qu'il y a pour elle une nécessité impérieuse de faire connaître au plus grand nombre cette histoire-là, avant tout par devoir de mémoire pour les milliers de victimes concernées (au début, des personnes handicapées ou malades, puis plus tard, aussi, des prisonniers du camp de Mauthausen tout proche). D'ailleurs son livre leur est dédicacé.

Cette enquête qui se lit très facilement et rapidement est présentée comme une succession de chapitres évoquant par alternance :
1/ l'histoire de la famille de l'auteure (ce qu'elle en sait, comment elle a vécu son enfance confrontée aux silences de ses parents, ses relations avec son grand-oncle, ses démarches pour avancer dans ses recherches, l'impact de la révélation, les personnes rencontrées, les lieux visités, son ressenti au fur et à mesure de ses découvertes, la raison d'être de ce livre...).
2/ l'histoire de son grand-oncle, devenu médecin et membre du parti nazi, son évolution de carrière, son engagement dans l'Aktion T4, l'organisation de son "travail" en amont et en aval, à savoir la sélection des personnes à éliminer (c'est présenté comme un acte de pitié de délivrer en douceur les malades !!!), les conditions de leur transport sur place au su et au vu de tout un village, et leur élimination (mort par asphyxie par le gaz avant crémation).
3/ des documents ou photos d'archives rendant les "personnages", les lieux, les faits plus vivants.
4/ des annexes très documentées de nature à éclairer le lecteur sur des points précis : le programme T4, la genèse de ce crime organisé et le concept d'euthanasie tel que mis en oeuvre par les nazis, une brève histoire du "patient zéro", la figure particulière de Karl Brandt (médecin privé d'Hitler) grand organisateur du programme, et enfin ce que sont devenus certains de ces assassins à la fin de la guerre.

Comme on a pu le voir avec ce qui est remonté après-guerre sur les camps de concentration et d'extermination, on est ici effaré par le niveau d'organisation et de technicité du processus mis en oeuvre. Tout était rigoureusement planifié, enregistré, étiqueté, photographié, récupéré... Cela fait réellement froid dans le dos ! C'est d'ailleurs à partir de l'expérience acquise par les personnels présents à Hartheim et des très bons "résultats" obtenus là-bas que les nazis auront l'idée de la transposer dans les différents camps, à une plus grande échelle, pour d'autres populations devenues encombrantes (les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels, les déportés improductifs, etc.).

On est également effaré d'apprendre que ce bon docteur a coulé des jours paisibles jusqu'à ses quatre-vingt-dix ans et qu'il est passé entre les gouttes de la traque des criminels nazis. Cela aussi fait froid dans le dos. On comprend en effet que bon nombre d'entre eux ont bénéficié des complicités ou d'indulgence étatique et administrative leur permettant de se fondre dans le paysage, tout en laissant leurs crimes impunis.

J'ai été aussi totalement effarée par les arguments développés par l'intéressé lorsque celui-ci, retrouvé par un écrivain-journaliste qui l'interroge sur son potentiel sentiment de culpabilité, dit assumer totalement ses actes dès lors qu'il s'agissait, par compassion et pitié, de soulager la misère de ces malades et entendait mener du mieux possible sa mission de médecin, fonctionnaire d'Etat, pour laquelle il recevait des ordres précis auxquels il n'a fait qu'obéir. La belle affaire, trop facile, non ?

J'ai été particulièrement bouleversée par ce livre et je n'ai pas manqué de m'interroger sur ce que j'aurais fait, moi, si j'avais dû découvrir un tel ancêtre dans ma généalogie !
Je trouve la démarche de l'auteure très courageuse. Elle aurait pu faire le choix d'enterrer la chose dans la fange d'un silence lourd, au risque pour ses descendants d'en faire plus tard les frais.
Bien au contraire, elle fait le choix de mettre au jour cette réalité-là dont, en aucune façon elle n'a à porter la responsabilité, pour en finir à la fois dans sa famille et dans la société, avec les secrets et les non-dits.

C'est un livre facile à lire mais difficile à digérer, même si l'auteure reste factuelle et jamais n'active le voyeurisme. En effet, comment ne pas garder longtemps à l'esprit ces cris qui ne manquaient pas d'être poussés par ces malades soumis à la douche de gaz et les images horribles qui les accompagnent ? Comment ne pas voir ni sentir ces fumées noires échappées des cheminées du château ? Comment ne pas être bouleversée par toutes ces vies fauchées ? par ces actes odieux commis en pleine conscience ? par l'indifférence quasi-générale de la population aux alentours ?

Pour moi, même si difficile, c'est un livre qu'il faut impérativement faire connaître et faire lire aux plus jeunes générations... car comme le dit l'auteure, tout cela peut recommencer.
Cf. ci-dessous un extrait de son propos (prémonitoire puisque son livre a été publié en 2006) qui m'a fait étrangement penser à ce que nous venons de vivre avec l'épisode Covid :
"...et si, demain, tout recommençait comme en l'an 40 ? Si, demain, un pouvoir fou décidait d'éradiquer toutes les vies qu'il jugerait "improductives" et "inutiles" ? Avec quel horrible zèle la caste des grands commis de l'Etat, et de nombreux rouages anonymes dans leur ombre, s'empresseraient-ils d'exécuter les directives de ce pouvoir pour asseoir une position, des avantages acquis, ou tout simplement pour obéir aux ordres ? Avec quelle allègre servilité des membres de nomenklaturas managériales se hâteraient-ils d'appliquer, voire de devancer les décrets de ce pouvoir pour faire carrière ou tout simplement pour accomplir ce qu'on leur demande ? Avec quelle férocité désinhibée se révéleront les Christian Wirth, Rudolf Lonauer, Georg Renno d'aujourd'hui et de demain ?
Et, en dernière analyse, quels critères pourraient autoriser quiconque à définir ce qu'est une vie "improductive" et "inutile" - et à la détruire pour cela ? "






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