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Critique de Pasoa


Retour en arrière dans la chronologie de l'oeuvre poétique de Victor Hugo, c'est sur la très belle lecture des Contemplations que je l'avais quitté. Je le retrouve aujourd'hui avec une oeuvre de jeunesse, Les Orientales.

En 1828, Victor Hugo a 26 ans lorsqu'il écrit la plupart des poèmes du recueil qui sera publié l'année suivante à Paris.

Dans la France du début du XIXème siècle, le milieu littéraire et artistique se passionne pour l'Orient. Ce nouvel engouement trouve entre autres son origine dans la guerre d'indépendance (1821-1829) que mène la Grèce contre l'Empire ottoman alors en déclin. Ce conflit va éveiller chez beaucoup tout un imaginaire inspiré par le romantisme alors très en vogue.

Dans sa préface au recueil, Hugo écrit : « Les études orientales n'ont jamais été poussées si avant […]. Il résulte de tout cela que l'Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu pour les intelligences autant que pour les imaginations une sorte de préoccupation générale à laquelle l'auteur de ce livre a obéi peut-être à son insu ».

Chez Hugo, l'Orient est un espace assez vaste, associé à tout le pourtour méditerranéen, qui va du vaste Empire ottoman, aux pays du Levant (le Moyen-Orient actuel), de l'Egypte jusqu'à l'Espagne des Maures. Un long détour, des lieux disparates dans lesquels pourtant, Victor Hugo n'a jamais mis les pieds...

Les Orientales commencent par une référence biblique, celle du châtiment que Dieu inflige aux cités de Sodome et Gomorrhe. Long poème fait de noirceur et de désastre… Les poèmes suivants ne sont pas moins sombres. Ils relatent la guerre d'indépendance menée par la Grèce, dépeinte par de nombreuses références historiques. Plus loin, c'est l'Egypte (« le Feu du ciel ») puis l'Espagne sous emprise des Maures (« Grenade ») qui sont évoquées dans toute leur magnificence.

D'autres poèmes suivent, pleins de descriptions, d'images de pirates, de villes assiégées, de femmes captives, de sérails, de navires de guerre en perdition, de la mer, de djinns (saisissant), de sultans, de beautés juvéniles, de palais et de minarets, de royaumes perdus, d'éléphants, de serpents, etc. Tout un monde prodigieux !

Dans le dernier quart du recueil, Victor Hugo semble infléchir son propos, quitter peu à peu le thème de l'Orient (des poèmes comme « Fantômes », « Mazeppa » ou encore « le Danube en colère » le prouvent). Puis, comme au souvenir d'un long voyage, il exprime ses regrets. Ainsi dans ces vers extraits de Novembre :

« […]
Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d'orient s'éclipse, et t'abandonne,
Ton beau rêve d'Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l'angle noirci des toits.

Alors s'en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L'arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal.

Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,
Cités aux dômes d'or où les mois sont des lunes,
Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,
Tout fuit, tout disparaît. Plus de minaret maure,
Plus de sérail fleuri, plus d'ardente Gomorrhe
Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !

C'est Paris, c'est l'hiver. ― À ta chanson confuse
Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.
Dans ce vaste Paris le klephte est à l'étroit ;
Le Nil déborderait ; les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
À ce soleil brumeux les Péris auraient froid.

Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
— N'as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m'ennuie
À voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d'or ! ―
[…] »


Dans un style plein de verve et d'exaltation, de rêverie aussi, Victor Hugo donne de l'Orient une vision épique, romantique et très idéalisée. L'Orient est pour lui un prétexte tout personnel pour faire parler son art.
Si dans l'oeuvre poétique de Victor Hugo ma préférence va aux Contemplations, il y a dans Les Orientales une liberté et une maîtrise des rythmes, des sons et des images qui captivent et rendent déjà compte de son génie littéraire.
Une échappée belle où la réalité se fait onirique et poétique, où l'écriture devient inoubliable.

« Rêverie -

Oh ! laissez-moi ! c'est l'heure où l'horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L'heure où l'astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline.
On dirait qu'en ces jours où l'automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.

Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, - tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, -
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d'or !

Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies,
Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l'horizon violet ! »

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