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Critique de Oliv


Oliv
28 septembre 2017
J'ai lu tout récemment "Les Chuchoteurs", ouvrage de l'historien Orlando Figes portant sur la vie quotidienne sous la dictature de Staline. Dans cette somme passionnante de plus de mille pages, publiée en deux volumes, une large place est faite au terrible destin des koulaks, ces millions de paysans "aisés" — sachant que posséder un cheval ou gagner quelques roubles en confectionnant des articles de cuir suffisait à entrer dans cette catégorie... — impitoyablement réprimés en URSS dans les années 30. Dans le cadre de l'opération Masse Critique, j'ai ainsi jeté mon dévolu sur "Zouleikha ouvre les yeux" afin de rester dans le thème : en effet, le roman de Gouzel Iakhina revient sur ces événements historiques dramatiques, en mettant à l'honneur une paysanne tatare déportée dans la lointaine Sibérie. Je remercie les Éditions Noir sur Blanc de m'avoir donné l'opportunité de le lire... Même si j'en ressors avec une impression assez mitigée.

L'histoire de Zouleikha peut être découpée en quatre grandes périodes, qui ne correspondent pas forcément au découpage en quatre parties voulu par l'auteur. Il y a d'abord la vie quotidienne de cette paysanne, simple et naïve, qui n'a jamais franchi les limites de son village ; puis l'arrestation et le long voyage pour une destination inconnue, dans un wagon surpeuplé où les déportés meurent par dizaines ; l'arrivée en Sibérie, sur les rives de l'Angara, où il s'agit désormais de s'organiser pour survivre dans des conditions éprouvantes ; enfin, le passage des jours ordinaires dans une "colonie de travail" devenue prospère. Cette trame est d'ailleurs révélée dans une quatrième de couverture qui, à mon sens, en dit beaucoup trop...

J'ai eu un peu de mal à entrer dans le roman, et pourtant, avec le recul, la première partie dans le village tatar, où l'on mène une existence quasi médiévale, où les traditions musulmanes se mêlent aux superstitions ancestrales, est peut-être la plus aboutie, car la plus touchante, celle qui sonne le plus juste. La suite est également de bonne facture, et j'ai plus d'une fois songé au cours de ma lecture que l'auteur faisait montre d'une belle maîtrise de son sujet, surtout pour un premier roman. Il m'a néanmoins fallu admettre que celui-ci ne m'était malheureusement pas "allé droit au cœur", pour reprendre les mots de Ludmila Oulitskaïa en préface. Peut-être à cause de ma lecture toute fraîche des "Chuchoteurs", je n'ai pas été bouleversé par Zouleikha : son sort m'a presque paru enviable en comparaison de celui de dizaines d'autres Soviétiques révélé sous la plume d'Orlando Figes — témoignages qui pour le coup font réellement froid dans le dos et nouent l'estomac. La souffrance, la maladie, la famine, la mort, sont bien entendu présents tout au long du roman, mais Gouzel Iakhina met plus volontiers l'accent sur la solidarité, l'amitié, l'espoir ; c'est un choix tout à fait défendable, même s'il peut être quelque peu gênant de voir l'horreur du système pénitentiaire soviétique ainsi atténuée... Zouleikha finit d'ailleurs par se sentir plus libre en Sibérie qu'elle ne l'était dans son ancienne existence de paysanne soumise à un époux et une belle-mère tyranniques.

Outre ce parti pris de dépeindre une "captivité supportable" une fois passées les épreuves du premier hivernage, je n'ai pas du tout adhéré à la narration dans cette quatrième période du roman. Les trois premiers quarts du récit se déroulent sur quelques mois, au cours des années 1930-1931. En revanche, le dernier quart adopte un tout autre rythme puisqu'il survole quinze années d'existence de la colonie pénitentiaire. Ces cent et quelques dernières pages m'ont paru un interminable épilogue. La maîtrise dont Gouzel Iakhina avait fait preuve durant le premier tiers s'est soudain envolée : c'était comme si elle ne savait soudain plus où aller, comme si elle avait perdu le fil de son propre récit, alignant des scènes confuses et sans grand intérêt, allant jusqu'à perdre de vue Zouleikha elle-même pour lui préférer des personnages qui auraient dû rester secondaires. À mes yeux, cette trop longue fin qui ne veut pas finir gâche en partie l'expérience de lecture, fort intéressante par ailleurs, que fut "Zouleikha ouvre les yeux".

Mon jugement est sévère, car j'attendais sans doute trop de ce roman qui est, rappelons-le, le premier de son auteur. Malgré ma relative déception, je garderais néanmoins le souvenir de quelques très belles scènes et d'une jolie plume... Tout en invitant les lecteurs attirés par ce type de roman à lire "Zouleikha ouvre les yeux", qui figurera sans aucun doute dans le haut du panier de ce que nous propose la rentrée littéraire.
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