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Critique de Luniver


Écrit au XVe siècle par deux religieux, le Marteau des Sorcières est devenu le livre de chevet de tous les inquisiteurs décidés à éradiquer la sorcellerie de la Terre et à pourchasser les sorcières (et les sorciers bien sûr, mais on ne tardera pas à se rendre compte que les auteurs ont une obsession contre la gente féminine).

Le livre est découpé en 3 parties : la première justifie l'existence des sorcières, la deuxième décrit le fonctionnement de la sorcellerie (comment sont lancés les maléfices et comment les défaire ou s'en protéger), et le dernier décrit enfin l'organisation des procès.

La première partie est assez rébarbative, si vous n'êtes pas spécialement porté sur la théologie. On abordera principalement deux questions : le problème du mal (si Dieu est omniscient, omnipotent et infiniment bon, comment expliquer la présence du mal sur Terre ?) et le libre-arbitre. Les arguments ne me paraissent pas spécialement intéressants, surtout que les auteurs usent et abusent des « Tout le monde sait … », « Il est de notoriété publique … » et autre « Il est évident pour tout le monde ... ».

Savoir contre quoi ils se battent est par contre instructif, car on découvre qu'une partie du public (savant ou profane ?) argumente contre l'existence de la sorcellerie, et n'hésite pas à déclarer qu'elle n'est due qu'à des gens qui s'illusionnent mutuellement. Les auteurs arrivent donc bardés de références, avec une menace sous-jacente assez explicite : le sujet est complexe, il est excusable de s'être trompé de bonne foi, mais maintenant qu'ils ont tout prouvé de manière indiscutable, persévérer dans la contradiction leur semblerait TRÈS louche (et personne n'a envie d'être trouvé louche par un inquisiteur). de même, on trouve au début de l'ouvrage une note du Pape lui-même qui oblige certaines provinces à accueillir les inquisiteurs, preuve qu'ils ne devaient pas être les bienvenus partout …

La deuxième partie est une compilation de superstition les plus crasses : les sorcières enlèvent les enfants pour manger leur chair, ensorcellent les vaches des voisins, provoquent des tempêtes pour détruire les récoltes, volent le sexe des hommes, … Tout ça accompagné de récits ad-hoc du type « mon cousin m'a raconté que ... » pour appuyer le propos. On trouvera également ça et là des chaudrons, et des crapauds comme animaux de compagnie (ce qui m'a surpris, je pensais que c'était un folklore moderne). Tout l'arbitraire des accusations de sorcellerie se dévoile : Si vous dites « Tu me le paieras ! » à quelqu'un et qu'il tombe malade dans les mois qui suivent, vous êtes accusée de sorcellerie ; si vos vaches produisent plus de lait que celles du voisin, vous êtes accusée de sorcellerie ; si quelqu'un vous bouscule dans la rue et que son enfant tombe malade plus tard, vous êtes accusée de sorcellerie.

Et la troisième partie vient pousser cet arbitraire à son paroxysme. Les inquisiteurs, les auteurs nous l'ont démontré dans la première partie, ne jugent pas en leur nom, mais au nom de Dieu ; par définition, ils ne peuvent pas se tromper, car Dieu ne commettrait pas d'injustice. Un soupçon, ou un doute, a quelque part valeur de preuve, d'autant qu'ils sont également immunisés contre tous les maléfices, contrairement aux juges. de plus, dans les pouvoirs d'une sorcière, on trouve globalement tout ce qui pourrait l'innocenter : elle refuse d'avouer, malgré la torture ? Maléfice de taciturnité. Un membre du jury commence à la prendre en pitié ? Il vient de se faire ensorceler. Les auteurs recommandent également de mener le procès tambour-battant, de refuser de donner les noms des dénonciateurs, de choisir un avocat commis d'office et de le menacer de complicité s'il défend une coupable avec trop de ferveur… Au final, le résultat du procès dépend de votre « réputation » : si le juge vous a à la bonne, si votre famille est « respectable », vous êtes innocente. Si vous venez d'une famille douteuse, vous êtes coupable. À ce titre, l'ouvrage est un bon exemple de ce qui peut se produire quand on accorde une once de pouvoir à une étroitesse d'esprit mêlée à une foi aveugle.

Quel a été l'impact de ce livre dans la traque des sorcières ? Ses nombreuses rééditions montrent en tout cas qu'il a eu un certain public, parmi les gens capables de s'offrir des livres. Mais difficile d'évaluer son influence, car l'ouvrage a été mis à l'Index : malgré ses nombreuses références positives en début d'ouvrage, les auteurs ont en effet soigneusement sélectionné les passages de lettres qui les mettaient en valeur, mettant de côté ce qui ne les arrangeaient pas. Les juges et les inquisiteurs ne devaient donc pas se vanter publiquement de s'inspirer de l'ouvrage.

Je retiendrai principalement de l'ouvrage une peur presque panique des femmes, de leur sexualité, et du pouvoir qu'elles pourraient obtenir seules sans l'aide des hommes : la rage des auteurs contre les sage-femmes est à ce titre très significative. Et également, une certitude absolue des auteurs de ne jamais se tromper, et d'accepter tous les moyens pour obtenir la fin, qui fait vraiment froid dans le dos.

On aura également un bel aperçu des superstitions de l'époque, avec son cortège de rituels, d'incantations, d'amulettes, … qui devient presque comique, pourvu qu'on oublie l'espace d'un instant que des femmes ont été torturées et brûlées vives sur ces accusations.
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