AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de batlamb


Un vieil homme et une vielle femme attendent un public. Pourtant ils en ont un, devant la scène, dès le lever du rideau qui rougeoie. Mais ils ne s'en aperçoivent pas, car ils ont la vue qui baissoie. Puisque ces âmes soeurs (ou ânes-soeurs ?) ne voient rien venir, ils ont confiance en la bonne conclusion de la pièce et de leur existence proche de s'achever, car ils ont quand même plus de 90 balais. Et à peu près le même nombre de chaises. Comme une église en attente de ses fidèles.

Cependant le couple est uni par un amour, une foi, qui porte quasi-uniquement sur eux, sur les vieux et non pas sur Dieu. Un amour non seulement aveugle mais aussi sourd aux incohérences sur lesquelles il se fonde, quand le duo cherche à retracer des éléments de la biographie et de la carrière du vieux, et plus particulièrement de sa paternité qui a mal tourné, sans que l'on sache bien comment. C'est dire si elle est reniée. Dans ce discours d'aveugles et de sourds, on est proche du non-sens, mais plutôt au sens anatomique de l'expression. Car en l'absence de leurs sens, cela fait sens pour les vieux de ne percevoir que ce en quoi ils croient et d'ignorer ce en quoi ils ne croient plus, puisqu'ils se détachent des rappels et dénégations que le réel pourrait manifester.

Ils semblent croire aux fantômes, car ils se mettent à accueillir un public invisible. Et peut-être, allez savoir, que les fantômes existent bel et bien dans cet univers isolé et désolé, de nature post-apocalyptique à en croire quelques remarques sibyllines de nos deux séniles en scène.

Le public immatériel redonne aux vieux plein de force et d'énergie, entrecoupées d'abattement dès que la discussion achoppe et que le rythme des arrivées et des présentations fait mine de se ralentir. Il faut toujours plus de chaises, des invités toujours plus prestigieux. Ce public-fantôme est un public compulsif pour les vieux, qui se convulsent pour le faire exister et satisfaire leur désir d'être écoutés avant la fin. Les chaises prolifèrent comme les champignons atomiques qui pourraient s'être épanouis sur ce monde, et le mouvement s'accélère en un rythme affolé. Mais ce mouvement des chaises ne sert que lui-même. Il constitue une fin en soi, sans que les vieux daignent se l'avouer. Et il annonce la fin.

Faute de fils, les vieux n'ont pour progéniture que ce public et le « message universel » que le vieux leur destine. Son langage en héritage. Mais même cette paternité là, le vieux ne l'assume pas jusqu'au bout. Car il confie l'énonciation du message à un autre, l'Orateur, sans même oser rester l'écouter. Il s'avère donc bien plus lâche que le héros d'Eraserhead de David Lynch, qui, lui, avait au moins le courage d'affronter son rejeton apocalyptique. Les chaises et la promesse du langage du vieux ne servent que de paravent pour maintenir une vie artificielle dans un monde que la vie a quasiment déserté. Les vieux fuient le réel, ils fuient la vie. Ne symbolisent-ils donc pas le langage tel que le concevait Ionesco ? À moins que leur exécuteur testamentaire l'Orateur, mutation du poète maudit, ait percé le mystère du langage de ce nouveau testament pour nous révéler à quoi il rime, tel Saint Jean le Révélateur ? Sa parole oraculaire sonnera en tout cas le retour au réel et la fin du monde, ultime Apocalypse en forme de fermeture du rideau.
Commenter  J’apprécie          2511



Ont apprécié cette critique (25)voir plus




{* *}