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Critique de Elamia


Imaginez un monde où le cycle des saisons a disparu, où le froid et la neige ne sont plus qu'un lointain souvenir, où l'eau est devenue une denrée rare tandis que la liberté est rabrouée de manière violente. Vous êtes alors dans l'univers de Fille de l'Eau.
Emmi Itaranta a pensé une dystopie originale et bouleversante, où les mots sont d'une force peu commune.
Comme le titre le laisse facilement présager, l'eau est au centre du roman. Ce n'est peut-être pas l'élément avec lequel j'ai le plus d'affinité, selon le jargon ésotérique, j'aurais plutôt tendance à m'ancrer à la Terre, mais cette histoire amène des réflexions profondes et poignantes sur l'importance de l'eau et son aspect vital.

Je remercie mille fois Babelio et les Presses de la cité pour leur confiance et cette merveilleuse découverte. Fille de l'Eau n'était pas mon premier choix et je n'aurais très certainement pas jeté mon dévolu dessus en librairie, malgré le résumé attractif et une couverture vraiment magnifique. Et pourtant, sans cette Masse critique dédiée à l'imaginaire, je serais vraiment passée à côté de quelque chose. Je ressors de cette lecture envoûtée et totalement charmée par la délicatesse de l'histoire et de la plume.

Ce roman mêle traditions ancestrales asiatiques, à un univers emprunté plutôt aux pays scandinaves. Cela donne un mélange très original où les personnages évoluent tant bien que mal dans une société en proie à la guerre, aux restrictions alimentaires et vivent dans la peur quasi constante de l'armée. Au milieu de tous ces tourments, une famille, celle de notre jeune héroïne, Noria, parvient à trouver un soupçon de quiétude grâce au maintien de l'ancestrale tradition de la cérémonie du thé. Noria apprend les gestes de son père, l'un des derniers maîtres du thé exerçant encore. Tout le côté apprentissage est très détaillé ici, et nous plonge dans un aspect contemplatif où le lecteur devient presque à son tour invité de la cérémonie.
J'ai beaucoup apprécié cette fusion plus qu'inattendue, entre culture asiatique et nordique. Certains lieux semblent inventés de toute pièce tandis que certains noms de ville existent pour de bon. J'ai également découvert toute l'élégance et le raffinement de la cérémonie du thé. N'y ayant jamais assisté, j'ignore si les rituels décrits ici sont typiques, mais je dois avouer que ce livre m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur la question. C'est un moment, qui, en outre la dégustation en soi, semble s'apparenter surtout à un moment de paix, à la limite de la méditation, et cela m'intrigue beaucoup. D'ailleurs, le roman garde du début à la fin cette perspective très conventionnelle, très ritualisée. Chaque geste renvoie à un protocole précis et étudié et il se dégage de l'histoire un relatif sentiment d'harmonie et ce malgré la dureté de certains passages.

Desservi par une plume magnifique, ce livre révèle l'admirable travail du traducteur. Traduit du finnois, le style est très poétique et il est rare de voir du subjonctif imparfait dans les romans actuels. Derrière cette maîtrise grammaticale, le vocabulaire imagé donne lui aussi beaucoup de profondeur au récit, et les mots ne sont plus seulement de l'encre sur du papier, mais donnent vie à des images intenses et saisissantes. Concrètement, il ne se passe pas grand chose de soudain ou de sensationnel, mais ce qui fait toute la beauté de cette histoire, est de suivre la jeune Noria, comme si nous étions à ses côtés, nous l'assistons dans chaque geste du quotidien et dans les scènes marquantes de son existence. Elle nous confie son ressenti et ses réflexions les plus personnelles sur la vie, la mort, la trace laissée par les civilisations, et nous renvoie toujours au cycle de l'eau et à son caractère changeant.

La relation particulière entre Noria et sa meilleure amie Sanja est sûrement l'un des points les plus surprenants du récit. Jusqu'au bout on se demande si les intentions de Sanja étaient sincères et je ne m'attendais pas du tout à cette fin ouverte. Finalement, même si le récit garde un rythme assez constant tout le long, et que les rebondissements sont rares, on retient notre souffle jusqu'au dénouement. J'ai bien aimé le talent développé par le personnage de Sanja, qui recycle les objets d'antan avec ferveur et précision. Cela m'a beaucoup fait penser au personnage d'une autre dystopie, Cinder de Marissa Meyer.

Avec des thèmes universels, qui font écho à notre quotidien et à la réalité actuelle, Emmi Itaranta nous transporte dans un monde sombre, mais non dénué d'espoir. Elle réussit de manière poétique et touchante à nous offrir une dystopie très différente et originale des romans jeunesse actuel. Ce n'est peut-être pas le page-turner de l'année, mais plutôt un roman avec beaucoup de maturité et empreint de réflexions, qui laisse derrière lui un sentiment mitigé entre la révolte et l'apaisement. Je suivrai de très près les prochaines publications d'Emmi Itaranta car son talent et sa générosité se ressentent dans ses lignes. C'est une histoire qui mérite largement d'être connue et que je classe sans hésiter parmi les perles littéraires.




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