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Critique de Rodin_Marcel


Jamet Christian – "Antigna ou la passion des humbles" – Ed. Demeter, 2007 (ISBN 978-2-916548-07-4)
– Format 22x17cm, 192 p. – abondamment illustré
– Bibliographie succincte et références de Dossiers conservés aux Archives nationales pp. 138-139 (réédition enrichie publiée en 2017)

Alexandre Antigna (1817-1878) est LE peintre orléanais du dix-neuvième siècle (le "régional de l'étape" cher aux courses cyclistes) ayant conservé une certaine (toute relative) notoriété de son vivant jusqu'à nos jours, objet donc d'une attention soutenue de la part des conservatrices et conservateurs responsables des collections du Musée des Beaux-Arts d'Orléans.

Cette attention peut paraître quelque peu disproportionnée une fois mise en rapport avec l'oeuvre de ce peintre, le personnage et sa production ne tenant finalement qu'un rôle secondaire voire mineur dans l'histoire de l'art de cette période. Mais c'est justement là que cet ouvrage peut prendre sa place, puisqu'il existe fort peu de biographies détaillées (le Bénézit reste dans les limites d'un dictionnaire général) de ces cohortes de peintres n'ayant connu qu'une renommée aussi éphémère qu'officielle.

Comme l'indique fort justement la préface, il s'agit ici d'une biographie complétant utilement le catalogue publié à l'occasion de l'exposition de 1978 sous la direction de David Ojalvo.
Même s'il s'agit d'une biographie policée, l'auteur insère des jugements fort critiques émanant de contemporains, lesquels ne furent pas toujours tendres avec Antigna. Il a tout de même commis (en 1849) un gigantesque navet intitulé "Après le bain" exhibant deux anatomies féminines dans le plus simple appareil, mais d'un académisme aujourd'hui navrant : la (toute) petite histoire retient que ce gigantesque tablotin dénué de tout intérêt pictural majeur suscita l'ire de Monseigneur Dupanloup, ce qui fit se gausser une bonne partie de la bonne, et moins bonne, société.

Pour ma part, c'est le sous-titre qui me chiffonne.
Affirmer ainsi qu'Antigna eut "la passion des humbles", sous le prétexte qu'il eut l'honneur d'être comparé à Courbet, cela me paraît aller un peu vite en besogne. Les miséreux d'Antigna restent "bien propres sur eux" et surtout "sur elles". Son oeuvre compte certes quelques images fortes comme "L'éclair" (1848), "L'incendie" (1850) ou "La halte forcée" (1855), mais sa "Ronde d'enfants" (1850), sa "Fête Dieu" (1855) et sa "Bergère" (1862-1863) sont d'une confondante mièvrerie. Antigna finit par produire – sur commande officielle – une "Visite de S.M. l'Empereur Napoléon III aux ouvriers ardoisiers d'Angers..." qui n'est pas sans préfigurer la catastrophe à venir du "réalisme socialiste".

L'auteur en reste donc à une biographie "informative" et "neutre". Pour ma part, je trouve que l'on devrait rattacher ce genre de peintre à tous ces "imagiers" (peintres, photographes, cinéastes) qui ne ratent jamais une occasion de faire une "toute belle" image en prenant la misère pour sujet.
C'est très coté dans la bien-pensance. Prenez par exemple le supplément "M" du quotidien "Le Monde" : c'est un magazine gavé d'images saturées du luxe (mode, montres, grosses bagnoles, stars cultureuses etc etc) le plus effréné, débridé, effronté : il n'empêche que figure, dans pratiquement chaque livraison, au moins un article tout-plein-émouvant sur tel ou tel secteur de la pauvreté mondiale la plus abyssale, qui fait alors l'objet d'images bien léchées, montrant, exhibant (comme chez Antigna) surtout des femmes, bien évidemment présentées comme "fortes, insoumises, libérées, en lutte" tous les qualificatifs les plus galvaudés y passent.
Comme ce fut le cas pour Antigna, ces braves illustrateurs de la misère n'oublient jamais de faire fortune, et/ou de remporter tel ou tel "grand prix prestigieux".

Il faudrait donc, en y insérant l'apport de gens comme Antigna, retracer l'historique, la généalogie de ces rusés margoulins remplissant leurs poches grâce à la mise en image de la misère des bons peuples.
Cette lignée de malins pourrait constituer une sorte de contrepoint à une suite de peintres comme les Breughel père et fils, Courbet, Otto Dix, Chagall, qui ont su peindre le bon peuple sans fard, sans concession et donc avec un infini respect.
Cet aspect n'est ici qu'esquissé... Dommage.

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