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Critique de Root


« Alors que le lien social se déchirait comme une complainte sans fin depuis l'arrivée de Facebook, il s'est d'un coup brisé net en 2040 avec la Grande Lumière. »

La Grande Lumière qui a rendu publiques toutes les données partagées informatiquement. Les vôtres, les leurs, les nôtres. Messages, e-mails, photos, historiques de navigation… tout est à présent en accès libre. L'an 2040 n'est pas si loin. Pourtant, le monde a beaucoup changé. C'en est fini des pays, il se découpe aujourd'hui en régions : la Région France, la Région Suisse… Facebook est obsolète, la toute-puissance s'appelle Deus.

Divorcé, Maxime a cédé à l'appel de la technologie après avoir longtemps lutté. Il a remplacé sa femme par Jane, un androïde créé pour le satisfaire. Jane le connaît mieux que personne – mieux qu'il ne se connaît lui-même. Une contrariété, un coup de fatigue ? Une petite dose de soma, la drogue de cette nouvelle ère, et les problèmes disparaissent. Pour un temps. Maxime ne fait pas partie des plus à plaindre, il est un Désigné, ce qui équivaut à la classe moyenne. C'est ainsi que la population est répartie : les Élites, les Désignés et les Inutiles, ces derniers étant destinés à s'éteindre, parqués dans des villages en ruine et stérilisés à leur insu via l'eau potable boostée aux hormones. En tant que scénariste d'un programme à succès, Maxime côtoie les Élites, sans oublier l'équilibre relatif de sa situation : de l'autre côté de la frontière sociale, son ex-femme et son fils, dont il n'a plus de nouvelles, se meurent parmi les Inutiles.

C'est à travers les yeux de Max que l'auteur nous invite à découvrir le futur. Celui qui nous attend ? On n'en est pas si loin. Et ce roman fait froid dans le dos. Je ne lis pas d'anticipation, c'est un genre dans lequel je ne me reconnais pas, dont les codes me sont hostiles et qui ne m'intéresse pas. Avec Simili-love, Antoine Jaquier propose une vision réfléchie de demain, sans jamais trop en faire. le côté science-fiction est parfaitement intégré au quotidien du personnage principal, et ne demande pas au lecteur de déployer des trésors d'imagination pour y adhérer. On se situe aisément dans cette nouvelle société où les anonymes ont succombé à la curiosité de fouiller sans vergogne l'intimité d'autres anonymes. « Tout ce que vous avez pu dire pourra être retenu contre vous » ferait une bonne devise de la Grande Lumière. Mais dans ce monde informatisé jusqu'à la déshumanisation, l'auteur a laissé à son héros la capacité de s'émerveiller. D'un voyage, d'un paysage, d'une sortie en mer. Maxime cite John Fante et continue d'éprouver les sentiments d'un homme, et d'une certaine façon, il est tombé amoureux de Jane, qu'il refuse de considérer comme un vulgaire robot que son statut de semi-privilégié lui a permis de s'offrir.

Ce n'est pas tant l'histoire, assez simple en soi, qui m'a plu dans ce bouquin, que la conception d'un futur où les réseaux sociaux se sont retournés contre leurs utilisateurs, où la haute technologie a pris le pouvoir – que nous avons bien voulu lui laisser –, et cette effrayante facilité avec laquelle l'auteur nous assimile, tous autant que nous sommes, à ses personnages. Sans nous cloisonner dans l'une des catégories qui régissent la population, il nous entraîne dans les bas-fonds du monde, et se pose alors la question du choix : qui sont les plus aliénés ? Et quelle place reste-t-il à la nature humaine, à son essence, ses émotions ?

Si le discours est parfois un peu entendu, ce roman n'en demeure pas moins visionnaire, intéressant, perturbant, et propice à la réflexion. Ce qui ne se refuse pas par les temps qui courent.
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