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Critique de hcdahlem


La saison de tous les dangers

Un premier roman pour lancer une nouvelle collection. Avec Préférer l'hiverAurélie Jeannin nous entraîne au fond d'une forêt où vivent deux femmes prêtes à affronter la solitude et l'hiver. Mais jusqu'à quand?

Une femme n'est pas coutume, commençons par parler du style plutôt que de l'histoire. C'est en effet par l'écriture que tient ce récit dépouillé, à l'image de la saison qu'affrontent les deux femmes au coeur de ce roman et dont toutes les caractéristiques imprègnent les pages. Cet hiver qui est à la fois le symbole de la lenteur, du dépouillement, de la froideur et de la mort qui hantent la mère et sa fille à laquelle Aurélie Jeannin a accordé le rôle de la narratrice: «J'ai du mal à parler de Maman au présent, même si nous vivons toutes les deux, chaque jour que Dieu fait, dans cette cabane en bois au milieu de rien d'autre que des arbres. Maman est à la fin de sa vie, même si elle n'est ni très vieille ni très malade. Elle est vivante, et je vis près de son corps, mais son esprit est déjà ailleurs. (…) Je sais qu'elle a ce fantasme absolu. Parvenir à saisir pleinement et entièrement les choses. Parvenir à les saisir d'un seul et même regard, dans leur complexité infime et leur reliance totale.» 
Plus la saison va avancer et plus la situation va devenir difficile, calquée sur cette nature immobile. Au fil du récit on comprend la raison qui les a poussées à chercher ce refuge, loin du monde. le «monde» qu'elles fuient leur a pris leurs hommes: «Mon frère est mort et mon fils avant lui. Son fils et son petit-fils. Maman découvre ce que crée en soi la perte d'un enfant, et ma peine à moi est ravivée de façon viscérale. Primitive et bestiale. (…) Survivre n'est tenable qu'ici. L'isolement, le travail physique, la solitude et la connexion aux éléments sont des béquilles. Nous vivons avec une quantité infime de ressources et de biens. Et je me surprends parfois à remercier je-ne-sais-qui que tout cela nous soit arrivé en hiver.»
Une ascèse voulue qui accompagne leur peine, un manteau blanc de neige comme un linceul pour un deuil dont «on ne peut pas faire de littérature».
Ne reste alors que l'essentiel, les quelques mots échangés, la gestion des réserves qui ne cessent de s'amenuiser, une relation qui elle aussi s'atrophie…
De ce roman de la survie Aurélie Jeannin fait un brillant exercice de style et si on est saisi par ce jeu de funambule sur un fil très fragile, c'est que l'on partage cette douleur à la lecture, ce mal qui les ronge. On voit les tristesses éternelles, la spirale infernale: «On ne reprend pas une vie après la mort de son enfant, on avance emporté par le courant glacé. On flotte à la surface, on coule parfois mais on ne redevient jamais ce marcheur sur la berge, serein, qui avance à son rythme en regardant le paysage. Nous, les endeuillés sans dénomination, nous sommes charriés par les flots, nous avons le regard brumeux et l'âme lessivée. Nous ne vivons pas vraiment. Demain ne nous ramènera pas nos enfants. C'en est fini d'eux. L'histoire est celle-ci. La leur et la nôtre.» 
Lien : https://collectiondelivres.w..
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