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Critique de LaBiblidOnee


C'est encore toute émerveillée par cette lecture que je voudrais vous inviter à me suivre au Groenland. Cette aventure est truculente, édifiante aussi parfois, puisqu'elle nous plonge au sein d'une « colonie » danoise. Mais elle est surtout profondément humaine, et c'est ce que je retiendrai en fermant ce roman. Martin, instituteur qui a besoin de dépaysement et de se sentir plus utile, demande sa mutation dans un comptoir danois du Groenland. Afin de mieux communiquer avec la population, il envisage d'apprendre le groenlandais mais le Ministère l'en dissuade : Il y va pour civiliser cette « colonie » en apprenant le danois aux enfants, et pas pour les inciter à continuer à parler la leur. On reconnaît bien là notre impérialisme culturel… « Jeu blanc », « Le chemin de âmes », « Nirliit », « Imaqa », même combat inégal qui n'en finit pas : celui de l'homme blanc contre les populations autochtones traditionnelles, qui ont du mal à faire valoir qu'elles ont le droit d'exister, que leur mode de vie ancestral correspond à leur réalité climatique, et n'est pas pire que notre consumérisme à outrance qui mène à notre perte.


C'est ce que commence à entrevoir Martin qui, pas totalement endoctriné par son Ministère, s'attache à la population locale et s'éprend de leur communautarisme chaleureux. Dès lors, il va chercher à s'intégrer. Il se frotte aux us et coutumes avec une curiosité attachante ; il apprend à se nourrir de ce qu'il chasse ou pêche pour ne pas que son salaire de prof ne s'épuise dans l'unique supérette hors de prix ravitaillée quand le temps le permet ; il s'achète une meute de chiens et un traineau, pour se déplacer en l'absence totale de route - il devra encore apprendre à le conduire ; il se vêt des peaux de bêtes qu'il a tuées pour survivre, et dont rien ne sera gaspillé ; il tâche d'écouter plus que de parler, de tendre la main et non d'enfoncer, de comprendre, plutôt que d'imposer. Malgré tout cela, il se sentira parfois impuissant face aux désastres qu'a introduit sa « civilisation » dans cette contrée cotonneuse et gelée, tout de blanc emmitouflée. Tenter de comprendre et de résoudre l'alcoolisme de son bras droit local par exemple, lui tiendra particulièrement à coeur. Mais que peut faire ou dire un étranger qui ne soit pris pour un jugement dédaigneux ?


Et puis il y a Jacob, cet adolescent du cru revenu d'une année d'étude au Danemark et qui peine à retrouver ses points de repère : sa langue, le goût d'une nourriture non-transformée et la valeur de l'effort, d'un travail qui assure la survie concrète de la famille faute de lui apporter une richesse plus abstraite et moins utile ; Richesse qui permettrait pourtant d'aller acheter des raviolis en boîte pour ne pas manger cette viande de phoque cuit dans sa graisse rebutante ! Comment choisir entre deux cultures, quand la seconde oblige à renier nos racines et les êtres que l'on aime ? Pourquoi apprendre une autre culture, si c'est pour devoir l'oublier en revenant à la maison ? Pour avoir le choix de son avenir, nous souffle-t-on au Ministère, promouvant une civilisation qui nécessite la commande régulière de livres scolaires, de télévisions et autres motos inutilisables sans route ni électricité… Par ailleurs, au Danemark, on n'enfouit pas ses émotions dans la glace des icebergs : on les exprime à tout bout de champ, ce qui deviendra particulièrement intolérable et humiliant pour le père de Jacob, qui devra prendre des mesures pour endiguer les nouvelles manies de son fils prodigue… Ajoutez à cela un chanteur d'opérette qui débarque à l'improviste, des amitiés inattendues, des langues qui finalement s'entremêlent dans l'appel de corps incandescents brisant la glace, des âmes qui s'égarent, des fusils qui s'échauffent, des drames inévitables nés du choc des cultures et de la rigueur des caractères forgés dans ce rude climat.


Mais derrière ces paysages glacés à faire pâlir jusqu'aux esprits maléfiques des superstitions, il y a toute la chaleur humaine d'un peuple qui sait que rien d'autre ne peut réchauffer les coeurs et les corps. « Craindre les créatures surnaturelles n'est pas ridicule au Groenland, c'est une façon d'exprimer du respect - et de reconnaître que l'Homme n'est pas le maître de tout. » Ce que j'ai apprécié au fil des pages, c'est que malgré le ton enlevé du récit, la découverte de cette contrée saupoudrée de magie blanche « n'est pas pour les âmes impatientes, ce qui n'est d'ailleurs jamais le cas lors des partages authentiques ». Ici le « grand Psychologue » est le décor, « l'étincelante pureté du monde » ; l'ambiance, les paysages, la rigueur du climat qui purifie les âmes et les coeurs qui le veulent. C'est ce décorum unique qui sauvera certains personnages de la catastrophe à laquelle les mène l'impérialisme occidental contre lequel Martin lutte désormais, aidé de l'humour et la gaieté d'une population qui sait que sa survie en dépend, même quand la neige fait grise mine et que les humeurs sombres contrastent avec le paysage d'un blanc immaculé. Laisserons-nous un jour chaque peuple vivre en paix comme il l'entend…? Imaqa. Peut-être…
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