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Critique de Antyryia



L'écriture a des vertus thérapeutiques.
Si nous sommes si nombreux à rédiger des chroniques sur Babelio, c'est bien sûr avant tout par amour de la lecture et par envie de partager nos affinités littéraires, et parfois nos déceptions.
Mais n'y a-t-il jamais, au-delà de ces évidences, un goût pour l'écriture ? Une envie de trouver les meilleures formulations possibles ? de construire son texte de la façon la plus cohérente possible ? de se laisser aller parfois à quelques originalités ?
Autant que je me souvienne, j'ai toujours écrit depuis que je suis au collège. Très peu de récits imaginaires, davantage de longues relations épistolaires qui ont été autant d'occasion de m'exprimer plus facilement qu'à l'oral, qui m'ont permis non seulement de correspondre mais aussi de faire le point avec mes difficultés ( quelles qu'elles soient ), de mettre des mots sur un malaise ou une souffrance, d'analyser avec recul ma propre situation en procédant à une sorte d'auto-analyse plus efficace que n'importe quel séance chez un psy.
Et si ces correspondances s'avéraient trop centrées sur moi, je finissais par les garder.
Autre exemple flagrant, j'ai eu besoin d'écrire une lettre à mon père, après son décès. Force est d'avouer que cette missive, je l'ai avant tout rédigé pour moi, comme pour lui dire tout ce que j'aurais voulu qu'il sache avant qu'il ne soit trop tard, me soulageant peut-être vaguement d'un poids trop écrasant.

La thérapie par l'écriture est l'un des très nombreux sujets évoqués dans le premier roman de C.J. Cooke.
Ce roman est d'ailleurs une forme d'exutoire en lui-même pour l'auteure, comme elle l'explique dans une émouvante postface.
Si tu t'en vas est un thriller psychologique de plus aux nombreux arrière-goûts de déjà-vu, mais qui pourtant arrive à surprendre.

Eloïse a disparu.
Maman responsable de deux enfants, elle s'est pourtant mystérieusement volatilisée en laissant seuls Max, son garçon de quatre ans, et Cressida son bébé de trois mois.
"Si je devais la définir en un mot, je dirais qu'elle est la sabilité incarnée."
Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver ? Enlèvement, meurtre ?
L'hypothèse selon laquelle elle serait partie de son propre chef en abandonnant ses gosses parait hautement improbable.
Sa voiture, son téléphone portable, sa carte bleue : Tout est là ... Aurait-elle pu fuir sans rien emporter ?
Lochlan, son époux, voit sa vie s'effondrer du jour au lendemain.
Lui qui n'était quasiment jamais présent, totalement accaparé par son travail ( "La famille est considérée comme une distraction dans le monde de l'entreprise." ), doit du jour au lendemain affronter l'évaporation inexpliquée de son épouse.
Devenir père alors qu'il ne s'était jamais intéressé de très près à ses enfants ( "Persuadé que m'occuper de mon fils était une tâche indigne de moi." ).
Et affronter les regards suspicieux de la police et des grands-parents d'Eloïse, qui le suspectent de ne pas être étranger à ces évènements dramatiques.
On apprendra que ce sont eux qui ont élevé Eloïse.
Leur fille, Jude, enceinte à seize ans, est tombée dans l'enfer de la drogue et a succombé à une overdose.
Sans être pénible à lire, cette partie est très banale et ne propose absolument rien d'inédit. Lochlan prend conscience de ce que signifie être père, quelques secrets remontent à la surface sans envahir non plus le roman, et différentes incohérences ou révélations concernant Eloïse se dévoilent peu à peu.

Pendant ce temps, une jeune femme amnésique échoue sur l'île de Komméno, en Crète.
Une île abandonnée de quinze kilomètres carrés.
"Douze kilomètres d'océan jusqu'à la ville la plus proche."
Cependant, elle ne fait pas un remake de Robinson Crusoë étant donné puisqu'elle tombe immédiatement sur un groupe de quatre personnes qui lui portent secours.
Je ne vais pas faire durer le suspense insoutenable plus longtemps, cette femme inconnue qui découvre très vite sa récente maternité n'est autre que ... ( roulements de tambour ) ...
Eloïse !
Ah ben ça, on ne s'y attendait pas.
"je sais que j'ai sans doute un fils ou une fille. Quelle genre de mère est capable d'oublier ses enfants ?"
Quelques souvenirs flous émergent de son subconscient, mais elle ignore toujours qui elle est et comment elle a pu arriver là.
Elle est totalement dépendante de ses quatre hôtes, qui se sont isolés dans cet endroit menaçant pour pouvoir écrire en toute quiétude des romans ou des poèmes.
"L'île tient plus de la contrée sauvage que du Paradis."
Elles est par ailleurs convaincue de reconnaître l'un d'entre eux : Joe, un secouriste d'une vingtaine d'années.
Sariah, vêtue telle une magnifique princesse orientale, bienveillante, s'occupe quant à elle des repas.
Hazel, qui ne semble pas avoir toute sa tête, petite, fine, obsédée par le rangement, est la troisième personne à composer cet étrange communauté.
"On dirait une fillette malicieuse coincée dans le corps d'une quinquagénaire."
Et pour terminer, c'est le gros George qui les accompagne, un inquiétant meneur tyrannique.
Qui sont ces personnages ambiguës ? Que cachent-ils ?
Pourquoi doit-elle à tout prix se souvenir si elle veut partir d'ici ?
"La seule façon pour toi de quitter cette île, c'est de retrouver la mémoire."

La mythologie est particulièrement mise en avant. L'île de Komméno serait en effet celle où Dédale aurait construit le labyrinthe enfermant le minotaure sur les ordres du roi Minos.
La seconde partie s'intitule par ailleurs "Le fil d'Ariane".
Le curieux voyage maritime d'Eloïse qui ne demande au final qu'à pouvoir rentrer auprès des siens n'est pas sans rappeler le difficile retour d'Ulysse à Ithaque relaté dans l'Odyssée.
L'embarcation avec laquelle s'échoue Eloïse sur l'île de Komménos s'appelle Janus, du nom du dieu romain à deux tête, l'une tournée vers le passé et l'autre vers l'avenir.
Enfin, il est plusieurs fois question de la boîte de Pandore, cette jarre contenant tous les maux de l'humanité.
Toutes ces références prometteuses ne resteront hélas que de simples images représentant majoritairement l'esprit tortueux d'Eloïse, qui a peur des conséquences si la mémoire lui revient. Si elle a enfoui ces souvenirs, c'est peut-être qu'elle n'est pas en mesure de les affronter.
"L'idée que je puisse ne pas vouloir récupérer mes souvenirs me donne des frissons."
Mais de quoi a-t-elle si peur de se rappeler ?

Si tu t'en vas est donc par bien des aspects un thriller psychologique très classique de plus, les thèmes de l'amnésie, de la disparition, et des secrets qui remontent peu à peu à la surface ayant déjà été vus et revus de bien plus belle façon.
Et pourtant le lecteur omniscient, qui a rapidement une plus grande vue d'ensemble en suivant parallèlement les deux membres du couple, a quand même de quoi se poser des questions.
En particulier lorsqu'il accompagne la fameuse disparue et ses quatre curieux acolytes sur l'île.
Une partie beaucoup plus originale parce que même si certaines pièces du puzzle se mettent doucement en place d'un côté de la narration ou de l'autre, le lecteur ignorera longtemps comment Eloïse a pu arriver là, ou qui sont ces écrivains amateurs qui sont venus la secourir avant de dévoiler leur véritable personnalité. Au-delà de toute logique apparente.

C'est un roman qui effleure le sujet de l'étiolement du couple, mais qui pose surtout les questions de l'attachement filial.
La version de la parentalité demeure assez archaïque dans ce roman, puisque c'est Lochlan qui privilégie le travail à sa vie de famille tandis que devenir mère change irrémédiablement Eloïse qui a besoin de protéger ses enfants, qui s'implique totalement dans son rôle maternel, accordant moins de temps à son association. Elle parvient d'ailleurs à les élever pratiquement seule, d'une solitude par ailleurs trop accablante dont l'injustice saute aux yeux.
Provoquant un peu tard une prise de conscience de son époux au pied du mur qui apprend ainsi les sacrifices qu'exige le métier de parent ou les dilemmes face auxquels peut nous mettre un petit garçon de quatre ans.
La tragédie de cette disparition inexpliquée inversera les rôles et le mettra enfin face à ses responsabilités, qui ne sont pas uniquement pécuniaires.
Dommage d'attendre de si terribles circonstances pour enfin apprendre à connaître et à aimer ses propres enfants.

J'avoue ne quasiment jamais avoir été absorbé par cette lecture, qui a souffert de longueurs, de retournements de situation ne servant absolument pas l'intrigue principale, et d'une impression de déjà lu.
J'ai rarement autant traîné pour lire un soit disant livre à suspense.
Et pourtant mon avis plus que mitigé a été revu et corrigé lorsque j'ai enfin compris où l'auteure avait voulu en venir. le surprenant final et le message qu'il transmet donne au roman tout le relief dont il avait manqué auparavant. Dommage que C. J. Cooke ne soit pas allée à l'essentiel parce qu'elle aurait pu si elle n'avait pas autant tergiversé faire de son premier roman une réussite surprenante et bouleversante.
L'écriture n'a rien d'exceptionnel mais j'ai cependant beaucoup aimé la retenue, la pudeur, avec lesquelles C J Cooke est parvenue à suggérer certaines scènes qui auraient pu être insoutenables.

Une lecture en demi teinte au final, mais si vous êtes curieux de connaître les raisons du départ ou de l'enlèvement d'Eloïse ( comment une telle mère exemplaire aurait pu partir sans ses enfants ? ), si vous voulez connaître l'identité exacte de ces quatre compagnons d'infortune bloqués avec elle sur l'île, bref si votre curiosité est titillée malgré tout, n'hésitez pas à vous procurer ce roman qui malgré ses défauts réserve de belles surprises.

Vous pourrez alors défendre avec véhémence ce titre ou au contraire proclamer votre déception de votre plus belle plume.


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