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Critique de berni_29


Est-ce que les choses sont écrites par avance ? Est-ce qu'elles peuvent s'inverser ou non ? Par-delà les principes d'égalité qui peuvent participer à la constitution d'un pays démocratique, au hasard la constitution des États-Unis, participer aussi à faire vivre cet esprit d'égalité dans la durée, il n'empêche que dans la vie, la vraie vie, la vie au quotidien, la vie dans sa profondeur, celle la plus glauque, la plus moite, la plus sordide aussi, ces choses-là s'apprécient d'une toute autre manière.
Est-ce qu'on naît tous pareils ? Tous égaux ? Pas forcément nous dit effroyablement ce roman.
Fatalité, me direz-vous ? Non les personnages dans cette histoire, comme tant d'autres histoires presque similaires, ont parfois aussi le choix, celui d'appuyer ou de ne pas appuyer sur une gâchette, le canon de l'arme posé sur leur tempe, celui aussi de partir ou de ne pas partir. Quelle belle liberté finalement !
Voici un couple qui bat un peu de l'aile, comme tant d'autres peut-être. Nous sommes dans l'Amérique des Appalaches. Sans doute ici il y a de l'alcool, de la drogue, de la violence quotidienne. L'endroit est misérable, il est difficile de joindre les deux bouts comme on dit. La mère est là avec son fils, il est tout jeune, tout petit encore. L'instant présent est un instant de bonheur comme tant d'autres entre une mère et son fils, que l'on soit en France, dans les Appalaches, au Sri Lanka ou au fin fond de la Sibérie...
Le père qui surgit fait de cet instant quelque chose d'effroyable, c'est un homme sans doute sans espoir, sans doute il n'est pas dans son état normal. Il y a la fois un geste désespéré, un cri d'amour, un cri de haine aussi, lorsque le père devant l'enfant ahuri décharge son arme sur la mère de l'enfant puis la retourne sur lui. L'enfant s'appelle Aiden McCall.
À partir de ce geste et de cet héritage, Aiden McCall va tâcher de se reconstruire tant bien que mal. Voilà l'ambiance dans laquelle démarre ce roman de David Joy, ma première incursion dans son univers, et je dois vous avouer que les premières pages sont violentes, sidérantes.
Tous les personnages de ce récit ne rêvent que d'une seule chose, quitter cette montagne. Quitter cette montagne, affirmer que cet endroit n'est pas assez grand pour eux, où la frontière entre le bien et le mal est aussi ténue qu'un cheveu. Alors, comment leur accorder ce rêve ultime ?
La suite est tout d'abord une magnifique amitié qui nous est offerte, celle d'Adien, de Thad et celle d'April aussi, la mère de Thad, par ailleurs parfois l'amante d'Adien...
Thad, revenu de la guerre, celle de l'Afghanistan, est à cran... Il n'est pas revenu indemne de là-bas. Souvent des images le hantent, celle par exemple d'une petite fille en pleurs effrayée au coin d'une rue, qui s'approche, des cris brusquement, sous ses vêtements la petite fille a le torse bourré d'explosifs, on le saura très vite... Des cris, un seul tir car l'enfant dans son innocence devient un danger, une explosion... On ne revient jamais indemne des guerres...
Les pages qui suivent sont tout aussi violentes, désespérées, mais elles laissent venir à nous des rais de lumière qui permettent l'espérance...
Ici, les lumières d'un mobile home brillent comme des lucioles dans la nuit. On voudrait s'en approcher, on serait à notre tour comme des insectes nocturnes, des phalènes attirées par la flamme d'une bougie, on voudrait s'en approcher, brûler nos ailes fragiles peut-être...
Adien et Thad, ces deux-là ne s'abandonneraient pour rien au monde, ne se trahiraient jamais, prêts à se serrer les coudes jusqu'à la fin des temps... Mais voilà, un événement qui leur offre presque une occasion de rêver un peu va les porter dans un cruel dilemme, celui de se questionner : est-ce la manne de Dieu ou bien celle du diable, cette opportunité dont ils se saisissent sans trop réfléchir... La suite de l'histoire leur apportera peut-être une réponse...
Voici le poids du monde, le poids d'un monde, plutôt le poids d'un certain monde. Comment puis-je porter ce monde à mon tour sur mes épaules, sur mes ailes, le porter vers vous ?
Je ressors de ce roman totalement lessivé, anéanti. Il est rare qu'un livre qui se passe dans les Appalaches me mette dans cet état proche de l'Ohio.
Parfois le monde de ce récit semble aller de plus en plus vite, avec comme des accélérations brusques. J'avais tellement de mal en moi, tellement de douleurs à suivre les personnages, parfois j'aurais voulu les retenir : non, pas là ! surtout pas là ! Mais voilà, ils y allaient, ils y allèrent, malgré moi, malgré le vent ou les étoiles qui leur disaient de ne pas y aller...
Ici il y a une violence à fleur de peau, les gens sont prêts à péter un plomb à chaque seconde, à chaque minute, à chaque heure qui parfois s'exprime comme une déflagration. Parfois les déflagrations viennent, alors...
L'immobilité soudaine de la nuit jette nos pas de lecteur comme au bord d'un précipice.
Parfois dans cette noirceur excessive s'invite une part d'humanité à sa manière, des fous rires, des élans de fraternité, une main posée sur le coeur pour oublier un instant, un bref instant, qu'il n'y a peut-être pas de lumière au bout du tunnel et que ce n'est pas un tunnel mais un gouffre sans fond.
Les moments de lumière de ce récit ressemblent à la voix magnifique de Dolly Parton qu'aime écouter April à longueur de jour et peut-être de nuit. Its too late to love me now... Rien que le titre est beau comme une déclaration d'amour presque désespérée, comme une manière de déchirer le rideau de la nuit pour respirer un peu, parce que là-bas au fond de cette montagne, dans ce trou sordide, on étouffe carrément.
It's too late
You say you want me, and it's too late
Once my love for you was so great
But it's too late to love me now
It's too bad
You say you need me, and it's too bad
I know the feelin' and it's so sad
But it's too late to love me now
It's too late to love me now
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