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Critique de Alfaric


Depuis sa réorientation vers la fantasy historique, l'auteur canadien Guy Gavriel Kay nous a livré de jolies variations de l'Italie de la Renaissance, de la Byzance de l'Empereur Justinien, de la Péninsule Ibérique de la Reconquista, des Îles Britanniques du Xe siècle ou de la Provence médiévale...


Ici, il s'attaque ici à la Chine de la Dynastie Tang : le dépaysement est d'autant plus garanti que l'ouvrage est fort bien documenté, voire référencé. Ce qui frappe de prime abord c'est le style… Oh que c'est joliment travaillé ! J'ai ressenti une métrique, une rythmique, bref une magnifique ambiance du début à la fin du récit : j'ai eu immédiatement en tête les images de Zhang Zimou et les musiques de Tan Dun en tête, du coup il n'a été difficile de m'enlever de la tête moult séquences du film "Tigre et dragon"… Force est de constater que l'auteur a longuement potassé les arts chinois en général et la poésie chinoise en particulier avant de se lancer dans son ouvrage éminent littéraire qui fait la part belle aux descriptions, à l'introspection et à la réflexion. (Sans parler du poète errant Siman Zian, qui présente une bonne tête de Tom Bombadil chinois… Tolkienisme quand tu nous tiens ! blink)

L'aspect fantasy est réduit à sa portion congrue car on est au mieux dans une uchronie mâtinée de quelques éléments fantastique (les fantômes du Kuala Nor, les femmes-renardes, les sortilèges chamaniques), au point même de s'interroger sur la pertinence de son appartenance au genre Fantasy… (Et ce n'est pas les guerriers/guerrières kanlins, inspirés des monastères Shaolin et Wudang qui vont changer la donne)
Mais de quoi ça parle ? le fils cadet du général Shen Gao, qui n'a pas su choisir entre l'armée, l'administration et les arts martiaux, a décidé de réaliser sa période de deuil en enterrant les 100000 morts laissés sans sépulture au bord du lac Kuala Nor. Cet acte de piété lui vaut la reconnaissance des souverains tagurans qui lui offre 250 chevaux sardiens, à l'inestimable prix au sein de la Chine / Khitaï…. Pour le reste, à bien des égards ce roman est un remake de "La Mosaïque de Sarance" car on retrouve le candide catapulté par un caprice du destin au sein d'une cour lieu de toutes les intrigues avec un souverain en fin de règne (ici Taizu le Fils du Ciel), une opposition entre l'administration (ici Wen Zhou le Premier Ministre) et l'armée (ici Roshan le général du Nord-Est), et une femme de pouvoir (ici Wen Jian la Précieuse Concubine). Outre les nombreuses situations similaires et une intrigue qui recourt aux mêmes ficelles, il y a quand même pas mal de scènes décalquées... Par contre le récit se concentre sur une fratrie plutôt que sur seul individu, car si le personnage de Tai se taille la part du lion, au gré des POVs on suit les heurs et les malheurs de toute la famille Shen…

J'ai trouvée symptomatique que le destin de Shen Tai soit l'objet des décisions des femmes de la première à la dernière page de ce pavé : il est extrêmement passif, subissant les événements plutôt que les anticipant, et il en le spectateur plutôt que l'acteur... Au final, ce sont définitivement les femmes qui décident et agissent à sa place :
- Wen Jian, la Précieuse concubine, archétype de l'aristocrate ambitieuse et manipulatrice, qui essaie de retarder l'inévitable affrontement entre le Premier Ministre « native » et le général immigré Roshan…
- Bruine de Printemps, archétype de la courtisane soumise réduite au rang d'objet de décoration, qui essaie de sauver son ancien amant de son nouveau maître…
- Wei Fong, censément archétype de la femme combattante mais qui entre la guerre et le mariage va vite faire son choix...
- Shen Li-Mei, archétype de la princesse rebelle mais trop quand même...
La Dynastie Tang uchronique de l'auteur passe directement du coup d'État de Gaozu à la rébellion d'An Lushan en omettant le principal : la prise de pouvoir par les femmes sous le règne de l'impératrice Wu Zetian. Pendant tout le roman j'ai attendu que cette oubli de taille soit réparé par l'un ou l'autre des personnages féminins... Oui mais non, cela reste convenu puisque parmi les archétypiques celles qui restent à leur place sont épargnées et celles qui ne le font pas sont châtiées...


Aussi joliment troussé soit-il ce pavé ne m'a pas trop parlé. Déjà je ne me suis jamais attaché aux protagonistes : malgré un paquet de scènes d'introspection, l'auteur s'acharne à mettre de la distance entre eux et les lecteurs… 650 pages pour une histoire simple, linéaire et prévisible (car ayant déjà eu lieu historiquement), c'est quand même fort de café. Les rares rebondissements sont des faux départs caractérisés, et au bout de 500 pages une fois les choses vraiment lancées c'est aussitôt commencé aussitôt terminé. Pas de suspens car quand ce n'est pas éventé c'est spoilé par l'auteur qui parfois oublie qu'il doit être romancier avant d'être historien. Bordel, il ne peut pas raconter les événements au lieu de multiplier les flashforwards consacrés aux commentaires des événements par les générations futures ! C'est déjà plus ou moins chiant, alors si en plus il se consacre à l'avenir plutôt qu'au présent la stratégie d'évitement devient insupportable… (Franchement qu'est-ce que cela apporte cet épilogue en deux temps du destin de Bruine de Printemps ? Ce n'était déjà pas assez triste comme cela ces destins croisés et ces rendez-vous manqués ??? L'auteur veut absolument en rajouter une couche alors que n'importe quel écrivain avec des couilles nous aurait conté un récit épique dans lequel la cité de Xinan aurait remplacé celle de Troie… Oui mais non, et pour la énième fois en plus, donc c'est pénible à la fin…)
Autre truc qui tire clairement l'ensemble vers le bas, les répétitions ! Combien de fois on nous explique, exactement de la même manière en plus, que les Bogü ont des coutumes funéraires singulières, que Bruine de Printemps n'aime pas son nouveau nom, mais qu'elle se moquait de celui qu'elle portait avant et que personne ne connaît son véritable nom y compris elle-même, que l'empereur est vieux et blasé et a commis des actes d'impiété, que Roshan est gros et grossier mais que ses jours sont comptés à cause de la maladie du sucre… Blablabla ivoire travaillé... Blablabla jade sculpté... Blablabla vins safranés... Blablabla soie liao... Blablabla plumes de martins-pêcheurs... Stop à la fin, on peut raconter exactement la même histoire avec moitié moins de pages !!! Marre des pavés qui tirent à la ligne, insupportable mauvaise habitude de bien des auteurs nord-américains...

Sinon, les tribulations de Li-Mei en terres nomades n'ont quasiment aucune incidence sur le récit principal. du coup, on pourrait trouver un peu nébuleuse l'histoire de Meshag et sa conclusion, mais je connais les classiques... ^^
IRL la révolte d'An Lushan a conduit après une période de troubles à la fondation de l'Empire Song, les aristocrates han prenant leur revanche sur les hommes nouveaux immigrés ou métissés qui avait assuré la prospérité de l'Empire Tang. Et celui qui va abattre cette restauration nationaliste, c'est Genghis Khan dit le Loup Bleu... Quel est le surnom du chef bogü / mongol Meshag déjà ? « Loup » ! J'espère que l'auteur ira dans cette direction dans la suite intitulée "River of Stars"...


Pour ce joli roman d'ambiance je suis impressionné par la maestria de l'auteur, mais de tous les ouvrages que j'ai lus sur la Chine de la Dynastie Tang est clairement celui qui m'a offert le moins de sensations, et celui qui me laissera le moins de souvenirs…


Challenge Pavés 2015-2016
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