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Critique de florigny


Clarissa commet une erreur commise au moins une fois dans leur vie par de nombreuses femmes : à l'issue d'une soirée bien arrosée, on rentre à la maison avec un inconnu charmeur, on passe la nuit avec lui, et le lendemain matin, on ne se souvient pas de grand chose tout en se doutant qu'on n'a pas vécu le début d'une belle histoire romantique. Clarissa regrette sa cuite d'autant plus qu'elle n'est pas tombée sur un rustre anonyme qui se contente de fuir à l'aube sans même lui dire au revoir. Non, celui-là elle connaît son nom, Rafe. Il travaille dans la même université qu'elle, professeur spécialiste des contes de fées, et comme souvenir, il a laissé sur son corps des hématomes, des marques de liens, et dans sa chair intime des douleurs qu'une nuit de sexe même tonique, n'explique pas.


Le calvaire commence pour Clarissa. Rafe est un harceleur pathologique qui a jeté son dévolu sur elle. Il est atteint d'une forme d'érotomanie. Il suit sa proie, lui téléphone, lui écrit, la menace, lui offre des cadeaux, lui envoie des photos de ses exactions sur son corps, fouille ses poubelles, retourne ses amies contre elle, la nargue en lui répétant à l'envi que c'est pour son bien au nom de l'amour qu'il lui porte. Mais que fait la police ? Elle ne peut agir en l'absence de preuve avérée qu'un délit a été commis, et Clarissa a eu trop honte et était trop terrorisée pour aller au commissariat raconter son viol. Rafe est un obsédé compulsif malin et méthodique, c'est le mental de Clarissa qu'il détruit au cours d'une escalade savamment graduée, calculant soigneusement au jour le jour les doses infligées, organisant ses attaques selon un ordre que lui seul comprend, prisonnier d'un raisonnement décalé et terrifiant, ressassant son auto-apitoiement et sa victimisation. Il lui vole sa vie, elle ne mange plus, maigrit, perd le sommeil, abuse des calmants, n'a plus de vie sociale, n'est plus elle-même.


Seul un événement intercurrent lui apporte une bouffée d'oxygène quand elle est désignée pour être juré – durant 7 semaines - dans le procès d'une jeune femme toxico et prostituée, sauvagement agressée. C'est là qu'elle découvre toute la difficulté pour une victime de ne pas être jugée coupable, face à ceux qui considèrent encore qu'une prostituée ne peut pas être violée, et qu'une toxico n'a que ce qu'elle mérite. Clarissa s'adresse à des associations anti-harcèlement qui, faute de mieux, distribuent des brochures pleines de conseils, dont la lecture lui apprend que les ¾ des victimes de sexe féminin connaissent leur harceleur, qu'il faut en moyenne 110 incidents dûs au tortionnaire pour qu'une femme soit entendue par la police, mais comment dénombrer ces incidents ? Est-ce qu'une salve de 50 sms insultants ou une série de 30 messages téléphoniques menaçants comptent chacune pour un incident, ou faut-il les décomposer en unités ?


Clarissa va-t-elle atteindre le point de non-retour, celui de la saturation ? Claire Kendal n'a écrit que cet unique ouvrage en 2014 et c'est bien dommage, car il s'agit d'un grand roman sur le harcèlement, particulièrement bien documenté au point que le lecteur peut se demander si l'auteure ne décrit pas romanesquement une expérience vécue. Tous les détails quotidiens de la descente aux enfers sonnent juste, le style est irréprochable, soignés les dialogues et il y a plusieurs niveaux de suspense : des histoires secondaires imbriquées dans l'histoire principale, dont on a envie de connaître le fin mot ; des personnages dont on a besoin de comprendre le rôle a priori ambigu. le dénouement peut surprendre, car l'auteure ne ménage pas ses lecteurs et ne fait aucune concession en leur fournissant un épilogue attendu. Je ne peux bien sûr rien dire de plus, sauf qu'il s'agit d'une histoire puissante et instructive très agréable à lire, qui analyse avec méticulosité les mécanismes tortueux d'une forme d'emprise rare mais grave.
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