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Critique de Sarindar


Winston Churchill est l'objet d'une admiration : pour avoir opposé à Hitler, juste après la déroute militaire française de mai-juin 1940, le faible rempart des îles britanniques et de la Royal Air Force, dont les unités insuffisantes en nombre, ont tout de même su merveilleusement combattre l'impressonnante armada aérienne allemande envoyée par vagues au-dessus de l'Angleterre, est regardé comme l'homme qui a su, avec son pays, avec le concours de l'armée de l'air, celui de la puissante flotte de guerre anglaise, la Navy, et les points d'appui conservés à l'extérieur grâce à l'immense Empire bâti en cinq siècles à travers le monde, dresser un barrage contre la barbarie et la tyrannie nazies. Pour cette raison, il bénéficie d'une image flatteuse, car s'il fallait ne retenir qu'un souvenir de son action, ce serait celui-ci, encore et toujours.
Et pourtant, sir Winston Leonard Spencer Churchill (1874-1965), n'a pas fait que belles et grandes choses tout au long de sa très longue carrière politique. La biographie de ce Lion britannique par Kersaudy ne dissimule pas les aspects un peu moins glorieux de cette action. Si les engagements militaires du jeune Churchill, au Soudan avec Kitchener, en Afrique du Sud contre les Boers, lui ont donné une réputation d'héroïsme, ses entreprises comme premier lord de l'Amirauté en 1915, et notamment l'expédition montée avec les Français pour s'emparer du détroit des Dardanelles et atteindre Gallipoli, furent des échecs retentissants. On le regarda après cela comme l'homme des paris risqués. Son passage au Colonial Office en 1921-1922 et la conference qu'il organisa au Caire contribuèrent certes à éteindre l'incendie qui faillit se répandre au Moyen-Orient au lendemain de la Première Guerre mondiale en raison de la mise en place du régime mandataire en faveur de la Grande-Bretagne et de la France, mais elles ne débouchèrent que sur des solutions provisoires, aussi bien en Irak qu'en Palestine ou en Égypte, où les populations étaient impatientes de se défaire de la présence des Britanniques, ce à quoi elles parvinrent après la Seconde Guerre mondiale.

Vint donc la période où Churchill gagna la considération des hommes qui voulaient rester libres en résistant à Hitler. Lorsqu'en 1938, Neville Chamberlain s'entendit avec Mussolini, Hitler et Daladier pour "préserver la paix" en laissant le Führer régler à sa convenance le sort de la Tchécoslovaquie, Churchill eut ce mot célèbre : "Nous aurons le déshonneur et la guerre", et il avait raison. Après l'invasion de la Pologne par les Allemands (et les Russes) en septembre 1939, cette guerre fut inévitable. L'entrée des troupes du IIIe Reich en Belgique et en France en mai 1940 donnèrent à Churchill l'idée de proposer au président du conseil français Paul Reynaud que la France et la Grande-Bretagne ne forment qu'un seul ensemble durant le temps du conflit, mais Reynaud n'avait pas la trempe voulue pour cela, et l'effondrement de l'armée française le laissa désarmé. Seul le sous-secrétaire d'État à la guerre, Charles de Gaulle, gagna Londres pour incarner la France Libre tandis que Pétain prenait le pouvoir en France et s'entendait avec le chancelier Hitler. Mais Churchill avait déjà d'autres chats à fouetter, et ses relations avec De Gaulle se ressentirent de la nécessité où il se vit de s'appuyer sur l'aide américaine pour continuer un combat qu'il ne pouvait pas mener seul contre Hitler. La loi prêt-bail consentie par les Américains et notamment grâce au soutien déterminant du président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, lui permit de tenir et de donner l'illusion pendant un moment d'être un petit David qui affrontait avec courage le géant Goliath. L'agression japonaise contre Pearl Harbour et l'entente germano-italo-japonaise permirent à Roosevelt d'entrer ouvertement en guerre aux côtés des Britanniques, et dès lors c'est la "doxa" rooseveltienne que Churchill adopta. Pour Roosevelt, la France avait été vaincue en 1940, et ses représentants ne pouvaient être que ceux de la France vaincue, et c'est pourquoi il préféra successivement Pétain, Darlan et Giraud comme interlocuteurs plutôt que De Gaulle, et Churchill ne fut pas loin de l'imiter, et l'on sait qu'il fit comprendre à De Gaulle qu'entre la France (ou l'Europe) et les États-Unis, il choisirait toujours les U.S.A.
Face aux Polonais réfugiés en Angleterre, et à leur figure principale, le général Sikorsky, Churchill, qui s'était d'abord montré très accueillant tant que l'U.R.S.S. et l'Allemagne nazie faisaient alliance sur le dos des Polonais, adopta avec ces derniers la même attitude de défiance et d'hypocrisie lorsque vint le temps de s'entendre avec Staline, et vient ici l'obligation de se poser des questions : Churchill fut-il pour quelque chose dans le crash en mer de l'avion qui transportait Sikorsky, accident dans lequel ce dernier laissa la vie ? Ce n'est pas certain, mais les circonstances sont troublantes. S'il aida comme il put en 1944 les insurgés de Varsovie contre les Allemands tandis que les armées soviétiques gardaient l'arme au pied de l'autre côté de la Vistule, il semble quand même avoir accepté avec Roosevelt un vilain marchandage avec Staline par lequel l'Occident abandonnait la Pologne, la Roumanie et la Hongrie aux volontés du maître du Kremlin en échange du maintien de l'Autriche et de la Grèce dans la zone d'influence de l'Europe alliée aux États-Unis, et ce malgré la présence à Athènes de puissants groupes d'obédience communiste. Il faudra peut-être revisiter la légende qui veut que Churchill se soit fait le défenseur et le champion de l'Europe de l'Ouest contre l'U.R.S.S. en vue du retour de pays comme la Pologne ou la Hongrie et la Roumanie dans le camp des "nations libres". Facile de dire qu'un "rideau de fer" avait été tiré entre Europe de l'Ouest et Europe de l'Est quand on avait été soi-même, plus ou moins, l'organisateur ou le complice avec Staline de cet état de fait. Kersaudy n'est pas assez incisif sur ce point, et je pense que Churchill a eu bien du culot de profiter du climat de guerre froide entre pays membres de l'Otan et pays signataires du pacte de Varsovie pour laisser entendre qu'il faudrait à terme remettre en question les accords de Yalta et de Potsdam, comme si c'était la mort dans l'âme qu'il avait agi comme il l'avait fait auparavant. Qu'il eût agi en 1943, 1944 et 1945 contre ses convictions personnelles, c'etait tout à fait possible. Mais enfin, il le fit tout de même puisque l'Europe se trouva bien, de fait, coupée en deux.

On est aujourd'hui aussi très perplexes sur la nécessite de faire usage de bombes incendiaires de grande puissance sur Dresde pour briser le moral des Allemands en février 1945 (250 000 morts). Fallait-il employer ces moyens, par vengeance, pour arriver à une fin de toute façon inéluctable : la défaite de l'Allemagne nazie ? Peut-être, mais...

On le voit, il y a beaucoup à dire au sujet des choix et des prises de décision de Churchill, et cependant, on ne peut s'empêcher d'admirer cet homme qui sut dire NON de toutes ses forces à Hitler. C'est pourquoi on doit lire ce livre de Kersaudy.
François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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