AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Zoeprendlaplume


Très belle expérience de lecture avec La fille qui se noie, formellement remarquable et particulièrement touchant et plein d'humanité dans le fond.

India, ou Imp, est schizophrène. Je n'ai aucune idée de la manière dont une personne schizophrène peut ressentir les choses, ni les vivre. Ainsi, je ne saurais pas dire si le rendu ici est vraisemblable. Mais j'en ai eu en tout cas l'impression. Imp est un personnage particulièrement attachant, passionnant, complexe et touchant. le propos n'est jamais discriminant, ne juge pas, ne blâme pas. Il n'y a pas de voyeurisme prononcé, de scènes incroyablement à côté de la plaque, ou de grossissements exagérés d'a priori que nous aurions sur la maladie.
Peut-être parce que le fond du propos n'est pas là; enfin, pas vraiment. Il est vrai que ce roman, enfin, ce texte, plutôt, découle de cet état que connait Imp. Mais pas seulement. Car Imp revêt une multitude de visages. Elle est artiste, et en cela elle est dotée d'une très grande sensibilité. Elle est notamment capable de donner vie à des tableaux qu'elle s'imagine mouvants, et qu'elle transpose dans sa propre vie. Et puis elle est un peu déconnectée de la vie matérielle, aussi. Pas par incapacité, plutôt par désintérêt. En cela, Imp est une femme un peu hors du temps mais aussi intemporelle; je pense que chacun peut retrouver une petite partie de lui-même dans ce personnage.
Imp noue un dialogue avec elle-même, comme si elle menait sa propre analyse. Et c'est un peu ce qu'elle fait : elle enquête sur sa propre vie, pour dénouer les fils et distinguer réalité du fantasme. Mais elle nous parle également beaucoup; en tout cas à un narrataire autre qu'elle-même, première destinataire de son récit. de ce fait, il se crée une proximité assez chouette entre le lecteur et Imp, qui permet de rentrer dans son intimité et son quotidien. Un quotidien qui finalement est celui de n'importe qui, dans le fond. Une femme qui aime, qui bosse, se passionne pour plein de choses, qui râle, hésite, et qui traîne des casseroles derrière elle. J'ai trouvé que la peinture de ce personnage par l'autrice était réalisée avec beaucoup de finesse, de tact et d'empathie.

Beaucoup aimé également les personnages secondaires auxquels la narratrice donne vie. Les figures de sa mère et de sa grand-mère, dont la présente hante encore les pages. Et puis celle d'Abalyn. Très différente de Imp, mais tout aussi présente, dont l'importance est même cruciale. J'ai beaucoup aimé la relation que les deux personnages entretiennent, pleine d'amour, de féminité et de sensibilité. Abalyn est un peu l'ancre de Imp, et même partie elle continue d'être un repère. Egalement apprécié les échanges avec la psy, intéressant de noter la manière dont Imp met des mots sur sa maladie. Des mots que l'on éviterait d'employer, par peur de blesser… Et puis évidemment, Eva, la figure de l'altérité, du double, de la tromperie, des secrets.

Et puis il y a l'enquête qu'elle entreprend, qui nous mène dans quelque chose d'assez fantastique, dans tous les sens du terme.
Imp décide d'écrire, pour retracer le fil des événements et comprendre. Qui est-elle ? Qui est Eva ? A t-elle réellement vécu ce qu'elle a en tête, ou l'a t-elle imaginé ? Tout se mélange, et au fur et à mesure du récit, Imp revient en arrière, corrige, se rend compte qu'elle ment, enjolive la réalité… Bref, au fur et à mesure qu'Imp revient sur ce qui l'a amenée à cet état de perte, on comprend qu'elle est en train de boire la tasse, et qu'elle s'emmêle les pinceaux dans son texte qui lui aussi, se noie.
Tout alors dans La fille qui se noie prend un visage métaphorique. le danger représenté par le loup, le chant des sirènes qui captive et charme jusqu'à faire oublier la réalité, et toujours cette persistance du tableau, symbole du miroir déformant de la réalité. Il y a un peu de tout dans ce roman. Surtout un soupçon d'ingrédients gothiques et une bonne dose de fantastique.

Ce qui est particulièrement remarquable, c'est la manière dont le texte mime à la perfection cette perte de repères et cette noyade.
On a l'impression de lire une autofiction, mais non; est-ce un roman ? Oui, mais qui emboîte également deux nouvelles d'Imp. Côté formalisme, ce roman ne rentre déjà pas dans les cases ! Imp est la narratrice, en tout cas l'écrivaine de son propre récit. Mais elle en est aussi la destinataire (avant même le lecteur), et elle n'hésite pas à commenter son texte. Pour cela, elle utilise la 3e personne du singulier. Se dédoublant de la sorte, elle a une approche presque méta sur son propre texte.
D'autre part, le texte suit les pensées d'Imp. Qui, on l'a vu, sont dans le désordre et enchevêtrées. Ce faisant, la prose est à l'image de l'esprit de Imp. Désordonnée, passant du coq à l'âne, jonglant entre analepses et prolepses et usant de prétéritions (= je ne vais pas parler de ça mais je le fais quand même). Imp se trompe, corrige, accuse la défaillance de sa mémoire, indique quand elle n'a plus souvenir de ceci ou de cela… Elle fait un vrai travail d'enquêtrice dans sa mémoire. A bien des égards, elle va à la recherche du temps perdu, à sa manière…
Et au fur et à mesure que l'on arrive aux moments qui font perdre les pédales à la narratrice, le texte se perd. Il intègre une sorte de pièce de théâtre en actes et des poèmes épars. Les phrases se bousculent frénétiquement, et n'ont plus ni queue ni tête. Imp répète même des mots plusieurs fois. On perd également la notion du temps et le peu de linéarité que l'on avait jusque-là explose. Il y a même un passage avec pas mal de fautes d'accord, je me suis demandé si c'était fait exprès. Ainsi, La fille qui se noie est un vaste labyrinthe textuel remarquablement mené. L'autrice a dû bien s'amuser à l'écrire, et Benoit Domis à le traduire. Et franchement, grand bravo pour cette traduction. Je n'ai pas lu le texte en VO mais ce déluge verbal m'a semblé extrêmement fluide.

Roman assez remarquable, donc, La fille qui se noie. Je n'avais pas d'attentes particulières et j'ai été à la fois surprise et charmée. Il faut lâcher prise avec ce roman, et se glisser dans l'esprit de ce personnage assez incroyable qui nous accueille avec une grande douceur. C'est très paradoxal compte tenu de la violence de ce que Imp vit et de celle du texte, malmené de toutes parts. Mais c'est ce qui m'a peut-être le plus plu ici. Peut-être est-ce la manière dont ce personnage se livre pleinement, sans fard; ou bien du talent de l'autrice à se mettre aussi bien dans la peau de son personnage, avec beaucoup d'amour pour lui. En attendant, j'ai beaucoup aimé ce roman que je relirai plus tard, avec un plaisir équivalent.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/c..
Commenter  J’apprécie          233



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}