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Critique de Noiredencre


Un récit émotionnellement dense, chargés de souvenirs douloureux d'une période où un peuple se déchire et se divise pour une idéologie.

Gapsu a 43 ans, travaille dans la rédaction d'une maison d'édition et vit à Séoul avec son épouse et ses trois enfants. Il reçoit un télégramme lui annonçant la mort de son oncle resté au village de son enfance. Il va se rendre sur place alors qu'il n'y était pas retourné depuis 29 ans, fuyant des évènements tragiques. Les souvenirs affluent et le blessent encore, bien qu'il ait passé tout ce temps à tenter d'oublier. Par le biais de ces souvenirs d'enfance narrés à la première personne, Gapsu évoque l'occupation japonaise puis l'indépendance, nous fait revivre l'insurrection communiste en Corée du Sud dans les années 40, et nous amène à comprendre davantage le « drame de la séparation » Nord-Sud du pays.

Il s'agit du premier auteur coréen que je lis et j'avoue connaître très peu l'histoire de ce pays. J'ai donc particulièrement apprécié le soin de Kim Won-il de faire expliquer par son personnage la duplicité des sentiments, le trouble des coréens face à ce conflit idéologique qui souvent les dépasse et les divise au coeur même des familles. Le protagoniste enfant tente de comprendre la réalité autour de lui en lisant sur le visage des adultes, ce qui offre de superbes portraits de cette population campagnarde qui survit comme elle peut, luttant contre la misère. Les dialogues sont savoureux et j'imagine pleinement le délicat travail de traduction pour rendre leur « parler » en français. On comprend qu'ils ont un fort accent et s'expriment peut-être aussi dans une sorte de dialecte régional. Leur langage est toutefois très cru, même celui des enfants, et cela a contribué pour moi à renforcer ce côté violent et réaliste du récit.
Les paysages sont superbement dépeints dans cette campagne où l'auteur lui-même a grandi. Mais la nature y est ingrate et nourrit peu les hommes : les plantes sont recouvertes de poussière au moment de la canicule, puis noyées sous les trombes d'eau quand arrive la pluie. Un des leitmotivs du roman est la faim cruelle et fidèle qui tenaille les estomacs de Gapsu et son jeune frère. Cela dit la nature n'en est pas seule responsable, il y a aussi le comportement irresponsable du père.
Une enfance très difficile, ce qui n'empêche pas Gapsu de développer de l'affection pour ce père violent. A cause des évènements vécus, il grandira avec un complexe de persécution qui ne le quittera plus. La peur et l'inquiétude font partie de son quotidien même lorsqu'il est adulte et se rend aux funérailles de son oncle, accompagné de son fils aîné à qui il a bien du mal à parler du passé.
Le récit est ponctué par des cauchemars terrifiants et de magnifiques évocations de crépuscules très poétiques. Ainsi la plume de Kim Won-il peut-elle susciter la beauté d'un moment comme la pire horreur d'une page à l'autre.

Toujours est-il que cette écriture émeut, impressionne, alarme, et ne peut que faire vibrer ce qu'il y a d'humain en nous. En cela ce roman a une portée universelle.

Je remercie chaleureusement les éditions Atelier des cahiers pour cet envoi-découverte, ainsi que Babelio pour l'organisation de cette Masse Critique qui ouvre d'autres horizons.
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