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Critique de Taxidermie


Ce livre a un grand mérite : détruire nombre d'idées reçues sur un mot qui, en lui-même, ne semble que négatif et signe de vices. L'auteur détruit pourtant les préjugés en analysant, et c'est le point le plus fort de l'ouvrage selon moi, la "logique" de la corruption avant de la condamner ou d'en faire l'éloge au nom d'un discours moral. Sa principale source de références est Mandeville, et sa célèbre image de la ruche qui prospère "grâce à" la corruption, puisqu'une société, "à cause" des hommes vertueux, stagne et s'enfonce dans l'uniformisation stérile à tout niveau (artistique, judiciaire, moral...). Ainsi apprend-on que la corruption est toujours à plusieurs et jamais le fait d'un individu isolé (pas de corrupteur sans corrompu et sans bonne poire, et pas de corrompu qui ne veuille en retour devenir corrupteur, selon une logique de dominos...) ; pas de corruption sans lien aux pouvoirs et à l'argent : il n'y a aucun intérêt à corrompre une personne qui n'a pas de pouvoir ou qui ne peut nous permettre d'accéder à un plus grand pouvoir. Un homme sans corruption n'a aucun pouvoir ; pas de corruption sans une logique des échanges et des services après qu'une amitié (même feinte) mais respectable ne se soit mise en place : et ce, afin de détruire la logique marchande où tout repose sur l'anonymat et l'argent, puisque plus personne (vendeur/acheteur) ne doit plus à l'autre. La corruption se fait toujours dans la solidarité où la logique du don/contre-don, échanges de services rendus, prime sur l'achat. On se rend des services, mais on ne s'achète pas ; difficulté de trouver la juste ligne de démarcation entre cadeau et tentative de corruption ; destruction de l'uniformité, de la monotonie et de l'ennui d'un monde totalement vertueux dans lequel il ne se passe plus rien d'intéressant.

Mais le reste ne m'a pas convaincu et j'avoue afficher un grand scepticisme pour les raisons suivantes :

- Très étrangement, l'auteur semble accepter un postulat de Mandeville et qui est problématique ; à savoir que les hommes corrompus sont toujours "créatifs" et "créateurs", tandis que les hommes vertueux et justiciers sont toujours "indolents" (terme de Mandeville), c'est-à-dire non créatifs, enfermés dans une identité stérile, toujours dans la somnolence et non l'action. Je ne vois vraiment pas d'où vient ce préjugé ! Un homme corrompu peut très bien briguer un poste où il croupi infécond (en 1982, Mitterrand a réintroduit les postes de préfet hors cadre que Charles de Gaulle avait détruit en 1964, qui sont des postes fictifs où l'on gagne 6000 euros par mois avec 4000 euros de retraite - alors pourtant qu'un préfet hors cadre est stérile, ne fait rien!!!) tandis que des hommes vertueux peuvent s'avérer créatifs (associations, projets artistiques, réformes technologiques et médicales...). L'argument de Mandeville ne semble cohérent que par ce postulat bien fragile.
- L'auteur affirme que l'homme vertueux s'enferme dans une identité qui est la répétition du même, alors que le corrompu, est-il dit, s'ouvre à l'altérité, est créatif, fait des expériences, s'adapte à des environnements différents qu'il accepte d'exploiter, est libre contre les règles monolithiques et invariantes. Malheureusement, on attendrait une définition de ces termes mais elle n'existe pas. Qu'est-ce que cette création ? Cette liberté ? cette expérience ? Il n'y en a aucune définition. Leur utilisation est totalement formelle. Pire, selon moi, si l'auteur montre à raison que le mot "corruption" est toujours jugé négativement, il me semble tomber dans l'erreur inverse : croire que les mots "expérience", "liberté", "création" ont un sens positif. Or, on peu en douter : la corruption crée des inégalités, du chômage, de la misère, de la pollution, des suicides (rien de positif, même si c'est créatif) ; de même, si la liberté consiste à faire n'importe quoi n'importe comment, n'importe où, je n'en vois pas l'intérêt et l'aspect positif. Je peux aussi décider d'enculer des hamsters pour avoir "de l'expérience". En quoi cela fait du corrompu un homme "de génie" - comme semble le croire l'auteur de plus en plus fasciné par le corrompu ?
- L'auteur dénonce l'angélisme des philosophes moraux qui pensent que la nature humaine est bonne, bienveillante et que la corruption est facilitée par un mauvais milieu (par exemple le libéralisme) qu'il faudrait réformer (comme le propose Chomsky). L'auteur de montrer brillamment que tous les systèmes politiques sont corrompus : qu'ils soient capitalistes, qu'ils aient été communistes, ou qu'ils aient été ceux du socialisme bureaucratique chinois, tous sont corrompus. Mais à la thèse (l'angélisme), l'auteur sombre trop dans l'antithèse (la corruption). Il aurait été plus intéressant de montrer la "tension" qui existe en l'homme entre le bien et le mal, l'angélisme rêvé et la tentation de la corruption, entre l'égoïsme ou l'altruisme. L'auteur ne l'avoue-t-il pas à demi mot en prenant par moments l'un des personnages De Balzac, ou Michael de Coppola dans le Parrain, qui utilisent "malgré" eux la corruption, qui la pratiquent mais avec cas de conscience ? Une analyse des dilemmes moraux, des cas de conscience aurait été mieux appropriée. On ne sait jamais en lisant l'auteur si la corruption qui se trouve valorisée est un "moyen", ou une "fin" en soi. L'auteur, à force de dénoncer l'image chatoyante de la nature humaine que répandent les philosophies de la morale, sombre dans un idéalisme : tout s'explique par la corruption, tout tend vers elle, tout ce qui est bénéfique passe par elle. Véritable idéalisme explicatif !
- L'auteur a la fâcheuse tendance à croire aussi en l'adage de Mandeville : les vices privés font les biens publics. Or, on peut en douter. Il y a des retombées sociales, économiques de la corruption, certes, mais sur des groupes d'intérêts ! Ce n'est ni l'individu, ni la collectivité qui en bénéficient, mais des groupes, des guildes, des communautés. Il n'y a qu'à voir aujourd'hui la disproportion énorme entre ceux qui détiennent de l'argent (un faible pourcentage) et ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Jamais cette disproportion (qui montre que l'argent n'est plus au service de l'échange mais de la domination) n'a été aussi forte ; des groupes d'intérêts ont créé du chômage de masse, des bidonvilles. Comme le disait un homme politique (dont j'ai hélas oublié le nom) qui critiquait le libéralisme et la main invisible : certes, la libre concurrence finit par créer par sa compétition, un équilibre (comme dans la nature), après que tous les chômeurs et les pauvres qu'elle a créés ... soient morts ! C'était l'argument de Darwin : si la nature en compétition semble harmonieuse, construite par un grand horloger comme semble le prouver la logique de la chaîne alimentaire, de l'équilibre écologique, ce n'est pas parce qu'il y a un horloger au départ. Au départ, tous luttent et s'entre-tuent. Une fois que les moins aptes disparaissent, que les moins adaptés disparaissent, effectivement, il reste un équilibre entre forces plus ou moins égales, puisque tous les autres sont morts ! Cet argument de Darwin est bien supérieur à celui de Mandeville : il n'y a en apparence des vertus publiques que lorsque toute la merde produite par la corruption a fini par mourir. Effectivement, au final, le monde semble s'équilibrer. Mais qui peut avoir l'intelligence de de situer du point de vue de la totalité, pour la décrire afin de savoir si elle est positive, équilibrée ? Le corrompu peut-il avoir cette omniscience pour cautionner cette hypothèse ? N'est-ce pas le corrompu qui veut nous faire croire que la corruption crée un équilibre ? Comment savoir s'il a l'intelligence impartiale de le nous le démontrer ? N'est-il pas tenté de "corrompre" les statistiques, les tableaux, les données, de faire des fausses lois pour le prouver ? Ne serions-nous pas la "bonne poire" que recherche le corrompu quand il veut nous faire croire cela ?
- Enfin, je crois que ce qu'il manque dans cet ouvrage, c'est le mot "situations". L'auteur à un moment reprend la distinction entre : corruption noire, blanche et grise pour éviter de parler uniformément de corruption. Malheureusement, très vite, le mot revient sans ses belles nuances. Je ne suis pas certain en effet que dès qu'il y a corruption, il y ait bienfait. Il aurait fallu distinguer et hiérarchiser des situations afin d'éviter de sombrer dans cet autre idéalisme qui veut que, quelle que soit la situation, la corruption est bonne. Car c'est ce que sous-entend l'auteur en mélangeant pêle-mêle ses analyses - qui sautent d'un film à telle situation réelle, ainsi qu'à tel épisode historique ou littéraire. Il n'y a aucun discernement dans les situations en question. Et c'est fort dommage.
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