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Critique de Betmalle


Le chergui c'est l'haleine brûlante d'un pays, le souffle de ce roman palpitant, la force naturelle d'une écriture qui vous emporte…
Une famille française à Casablanca dans les années 60 à 80, son cadre de vie, son histoire, son évolution, la vie de chacun de ses membres pendant 18 ans, depuis le moment où Vic, âgé de 10 ans, apparaît telle une nouvelle planète au coeur d'un système, impulsant par son énergie des mutations imprévues.

L'écriture d'Elen Brig Koridwen, c'est la vie ; elle est faite de souffle et de chair, rien n'y est simple et mécanique, c'est un organisme qui respire et pense, traversant tous les cycles et toutes les mutations que suppose la complexité du vivant ; il n'y a pas de pensée unique, de dogme, de point de vue qui prévaut sur tous ; chaque être est une multitude de connexions avec les autres, pas de fixité, pas d'équilibre statique, tout se recompose sans cesse, tout s'adapte en permanence ; rien n'est donné, tout se gagne à force d'enthousiasme et d'engagement et la seule morale est celle de l'intensité et du courage d'être soi. Et tout s'imbrique dans tout, l'histoire dans l'Histoire — dont les perspectives sont dessinées en juxtaposant des angles complémentaires, réputés parfois incompatibles.

Tout ce qui est insaisissable, Elen Brig Koridwen tente victorieusement d'en rendre compte : dans le domaine des relations interpersonnelles les intuitions, les transmissions de pensées, les rencontres magnétiques, les attractions et les répulsions ; dans le domaine du monde intérieur l'articulation des émotions et des pensées, des souvenirs et des détails du réel perçus, les associations d'idées, les soudaines révélations, leurs mises en mots, le flash des résolutions.

Une forte sensation domine pour moi, tout au long de ma lecture, faite à la fois d'unité et de simultanéité. L'impression de traverser (et d'être traversé par) un tout incroyablement vivant, innervé jusqu'à la moindre de ses extrémités, où l'influx circule, vif et libre. L'impression de faire corps avec ce livre palpitant.

Dans cette aventure humaine peuplée de nombreux personnages, d'une présence rayonnante pour certains, deux rôles principaux : Vic, « orphelin débrouillard, soldat déserteur, goûtant ses hauts et ses bas avec la même intensité. », et Eva, dernière née des Lebureau, handicapée par la Honte, et qui pressent, très tôt, le devoir de rompre avec sa famille. Eva et Vic, deux surdoués secrètement liés par un pont de lumière.

Elen Brig Koridwen sait partager le plaisir sensuel de peindre portraits, paysages, atmosphères et situations, avec réalisme, drôlerie et poésie :
« Il avait l'oeil humidifère, infirmité insolite qui renseignait ses vis-à-vis sur ses moindres émotions. »
« Les instruments du Progrès éructaient en miaulant une sciure odorante. »
« Un jour éteint farinait les lucarnes où tintait une brève averse. »
« le visage de Tarif Lazrir évoquait un râbab, cette petite vièle montée sur une carapace de tortue »
« Entre les talus bicolores, l'un couleur de foin vieux, l'autre velouté de givre, les pas de Vic fracassaient les miroirs; »

Elle sait aussi brosser des tableaux lumineux et vivants, tel celui des courses de chevaux vu à travers le prisme de la sensibilité d'Eva, mais aussi nous plonger dans des séquences d'action qui relèvent du meilleur de la littérature d'espionnage.

Le talent, le vaste savoir-faire, le style très fluide, l'imagination et la passion d'exprimer et de transmettre ses convictions humanistes profondes, toutes ces qualités de l'auteure sont réunies dans ce roman. Mais en plus de tout cela, naît de son écriture une forme de plénitude qui donne une tonalité singulière aux livres d'Elen Brig Koridwen, une sensation “pianistique” dominée par la clarté, la grâce et la hardiesse.
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