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Critique de boudicca


Parmi les romans qui ont le plus défrayé la chronique au sein de la blogosphère l'an dernier, difficile de passer à côté de « Vers les étoiles », premier tome d'une série éditée par Denoël et signée Mary Robinette Kowal proposant une réécriture de la conquête spatiale. le palmarès des prix reçus par l'oeuvre permet également de se faire une idée de la réception qui a été la sienne aussi bien auprès du public que des critiques littéraires, puisque l'ouvrage a été récompensé par les plus prestigieuses distinctions, à commencer par le rare trio gagnant Locus/Nebula/Hugo. le roman mérite-t-il tout ce battage ? Oh que oui ! Tout commence avec une uchronie qui va faire dévier le cours de l'histoire telle que nous la connaissons : le 3 mars 1952, une énorme météorite s'écrase dans l'océan aux abords de la côte est des États-Unis. L'onde de choc ne tarde pas à se propager et engendre des désastres colossaux dont les effets sont ressentis partout dans le monde : la ville de Washington est entièrement rasée, de même que la majorité de la côte, et les tsunamis causés par l'impact provoquent eux aussi leur lot de destructions et de morts. le bilan humain et matériel est catastrophique, mais il apparaît très vite qu'il ne s'agit pas de la seule tragédie causée par la météorite. Elma York et son mari, respectivement mathématicienne et ingénieur spatial, ont réchappé de peu à la catastrophe et ne tardent en effet pas à se rendre compte que la chute de la météorite dans l'océan va considérablement et durablement modifier le climat de notre planète. A un hiver long et rigoureux de plusieurs années devrait ainsi suivre un éternel été, les températures ne cessant de grimper jusqu'à rendre la vie sur Terre incompatible avec la survie de l'humanité. Bien que pour la grande majorité septique, ce qui reste des autorités américaines accepte alors de mettre une grande partie des ressources du pays au service d'un programme d'exploration spatial ambitieux impliquant l'ensemble des pays ayant accepté de mutualiser leurs efforts dans l'optique de développer des colonies humaines dans l'espace. Un programme dans lequel les femmes jouent un rôle essentiel en tant que calculatrices, mais qui réserve le statut d'astronaute aux seuls représentants de la gente masculine. Or Elma York, elle, compte bien aller dans l'espace, et réalise vite qu'elle est loin d'être la seule à caresser ce rêve.

Parmi les nombreux aspects frappants du roman, la reconstitution par l'autrice de ces États-Unis des années 1950, à la fois très éloignés de ce qu'on connaît car profondément marqués par la tragédie mais indéniablement familiers du point de vue des mentalités, représente un tour de force remarquable. Car si la chute de cette météorite rebat les cartes d'un point de vue politique, économique et écologique (de même que l'élection de Dewey en lieu et place de Truman en 1948), l'autrice s'est de toute évidence minutieusement documentée sur cette période de l'histoire américaine afin de la rendre la plus vivante possible. le spectre de la Seconde Guerre mondiale et de l'holocauste se manifeste par exemple à plusieurs reprises, et ce de manière d'autant plus poignante que le couple au coeur de l'intrigue sont tous deux juifs et ont participé à l'effort de guerre (qui est loin d'avoir mis fin à l'antisémitisme, y compris dans le camp des vainqueurs, comme le constatera amèrement Elma). L'autrice choisit également de faire de son héroïne une pilote ayant servi dans le WASP (Women Airforce Service Pilots), une organisation para-militaire réunissant pour la première fois des femmes pilotes civiles, ce qui lui permet là aussi d'aborder un aspect trop méconnu de l'époque. Mais là où Mary Robinette Kowal s'est surpassée, c'est incontestablement du point de vue de la documentation scientifique. Difficile à croire en lisant sa postface que l'autrice n'y connaissait pas grand-chose avant d'entamer son roman tant celui-ci fourmille de références pointues (et revérifiées par de vrais astronautes). Des références qui, loin de perdre le lecteur peu initié à ce sujet (dont je suis) permettent au contraire de renforcer son immersion dans ce petit microcosme dont il faut apprendre les codes, le vocabulaire, les spécificités. Alors certes, certains passages sont parfois un peu ardus (j'ai réussi à ne pas tomber dans les pommes en entendant parler de « vecteur vitesse de fusée », de « fréquence Doppler », d'« équation différentielle » ou d'« approche V-bar ou R-bar »), mais l'ensemble reste malgré tout très agréable et remarquablement vulgarisé. La plupart des concepts compliqués qui pourraient laisser sur la touche une partie des lecteurs sont ainsi exposé de manière ludique et variée, l'autrice alternant entre passages chez une star du petit écran adepte de vulgarisation scientifique, conversations entre spécialistes ou même scène d'action.

Mais l'aspect qui m'a le plus enthousiasmée et qui a sans aucun doute le plus contribué au succès du roman tient à la place prépondérante accordée par l'autrice aux femmes en générale, et aux minorités en particulier. « Vers les étoiles » est ainsi moins le récit d'une nouvelle conquête de l'espace que de la lutte menée par des femmes pour accéder, au même titre que les hommes, au droit de se rendre dans l'espace. A travers son roman, l'autrice se livre à une critique acerbe du patriarcat, de ses contradictions et de son hypocrisie, le tout avec force et subtilité. Ici pas de grands discours : il ne s'agit pas de théoriser sur le sexisme mais de le mettre bien en vue sous le nez du lecteur. Difficile de contenir sa colère face à l'avalanche de petites phrases anodines qui remettent en permanence en compte les compétences de l'héroïne et de ses homologues. Ou aux commentaires déplacés sur sa tenue vestimentaire. Ou à l'attitude sans cesse condescendante et paternaliste des hommes qui l'entourent (son mari excepté, et leur relation d'amour et d'amitié constitue d'ailleurs une grande réussite du roman). Quoi qu'elle fasse, Elma est sans cesse renvoyée à son genre, et aux limites ou aux comportements que cette appartenance est censée conditionner. Une femme ne supporte pas la pression. Elle est trop émotive. Un homme fera toujours mieux le même travail… C'est épuisant à vivre pour les personnages et cela le serait également à lire pour le lecteur si l'autrice n'avait pas, en parallèle, mis en avant les liens de sororité qui unissent toutes ces femmes déterminées à aller dans l'espace. Avec tour à tour colère, humour ou ironie, les héroïnes du roman dénoncent et se moquent des contradictions inhérentes au patriarcat, affirment leur volonté, et se serrent les coudes. Loin d'être décourageant, le roman est ainsi au contraire extrêmement mobilisateur et aborde des questions évidemment toujours d'actualité. Son attention toute particulière posée à la double discrimination subie par les femmes de couleur s'inscrit dans la même lignée et est à saluer.

Mary Robinette Kowal signe avec « Vers les étoiles » un premier tome remarquable tant par la qualité de sa documentation (historique et scientifique) que de ses personnages. La question du sexisme est au coeur du roman et est traité avec beaucoup d'habilité par l'autrice dont l'oeuvre serait tout à fait à même de susciter des vocations. Je vais dès à présent m'empresser de découvrir les nouvelles écrites par l'autrice dans le même univers parues dans le recueil « Lady astronaute » (Folio SF).
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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