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Critique de Zebra


« Gloria », le tout dernier roman de Pascale Kramer, surfe sur deux thèmes : la pédophilie et l'insertion sociale.

Le livre met en scène Michel (jeune éducateur dans un foyer de réinsertion sociale ; il s'occupait de cas sociaux mais il se retrouve au chômage après avoir été convaincu d'actes de pédophilie envers de jeunes pensionnaires), Gloria (jeune mère de Naïs ; ancienne pensionnaire dans ce foyer de réinsertion sociale, lascive et désoeuvrée, elle s'offre dans l'appartement qu'elle occupe en HLM quelques aventures avec des hommes de passage ; nouvellement enceinte ; ayant quitté sa famille adoptive et ayant renoncé à son vrai prénom – Julie – elle fait preuve d'autorité excessive envers Naïs), Naïs (âgée de trois ans ; fille de Gloria ; cherche désespérément l'affection et la tendresse de ses parents), un Arabe dont le nom ne nous est pas communiqué (père de Naïs ; en cours de naturalisation ; travaille toute la journée et rentre tard le soir ; adore sa femme et sa fille), Judith (épouse de Michel ; devenue stérile après un traitement médical ; pleine de compassion et d'affection pour son mari), les parents de Gloria (qui voudraient remettre Gloria dans le droit chemin et qui aimeraient faire avorter Gloria), Marie (une amie de Gloria ; elle tentera une aventure avec Michel), Viviane et son mari Alexandre (un mari qui la bat), Kostia (celui qui a dénoncé Michel pour s'être livré à des attouchements sur la personne d'une jeune indienne en réinsertion au foyer dans lequel Michel travaillait), Élisabeth (médecin spécialisé dans la lutte contre l'infertilité ; elle aura à soigner la mère de Gloria), Éva et son mari Patrick, et quelques jeunes enfants tenant de temps en temps compagnie à Naïs dans un appartement situé au dernier étage du HLM : tous ces personnages sont bien typés et très correctement décrits dans leur côté « cabossés par la vie ».

Michel s'invente un rôle de sauveur : il lui faut sauver Gloria (lui trouver un nouvel appartement et l'aider à s'accomplir dans son rôle de mère), sauver l'Arabe (l'aider à surmonter les difficultés administratives inhérentes à son désir de naturalisation et l'aider à s'épanouir dans son rôle de père de Naïs), sauver Naïs (la protéger des crises d'autorité de sa mère et l'aider à trouver sa place dans ce monde d'adultes qui l'entourent), sauver Judith (lui apporter tout l'amour nécessaire pour la sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve depuis qu'elle sait qu'elle ne pourra pas avoir d'enfants), sauver Viviane (des violences de son mari) et sauver les enfants qui jouent avec Naïs (car, c'est bien connu, la vie en HLM ça n'est pas rose tous les jours). Mais Michel n'arrive pas à assumer ce rôle de super héros : d'abord, parce que, ayant la certitude que Gloria met des photos à caractère pédophile de Naïs sur le Net, il n'a de cesse tourner le problème dans tous les sens, ce qui paralyse son action ; ensuite, parce qu'il s'épuise dans une relation équivoque avec Gloria, une femme envers laquelle il éprouve une certaine fascination, une femme dont il envie les maternités successives (ça le change de Judith, son épouse), une femme qu'il considère comme immature et dont il ne décèle pas le côté manipulateur. Est-ce que Michel tenterait d'expier sa faute, sans qu'on soit pour autant certain de sa culpabilité, ou se complairait-il dans une situation d'échec permanent, ne sachant que faire de sa nouvelle vie ?

Pascale Kramer nous fascine et nous met mal à l'aise. Elle se comporte en voyeur sur le monde qui nous entoure, promenant son regard avec délicatesse et précision sur les individus, les choses, les lieux et les âmes. Certaines descriptions de Naïs (cf. citation) sont criantes de vérité et de sensualité. L'absence de dialogues montre le côté accessoire des mots dans la communication entre les êtres, les mots masquant la vraie nature des individus. L'écriture est sèche et directe. le roman a ceci de curieux qu'il évolue en permanence dans deux sens contraires : il progresse (le lecteur avance dans les retrouvailles entre Gloria et Michel, les mois se succédant les uns après les autres) mais il remonte en même temps vers le passé (le lecteur apprend peu à peu ce dont étaient faites leurs relations, avant que Michel soit viré du foyer). Dans ce contexte, le lecteur ressent de l'inquiétude, d'autant plus que chaque personnage se révèle au final assez différent de ce que le lecteur en avait vu au début de la lecture. Quant à la fin de notre histoire, elle paraît impossible à prévoir. Dans ce roman fort surprenant, le lecteur oscille entre l'être et l'apparence, et nage en plein paradoxe : celui de l'existence. En effet, certains individus ne peuvent être atteints par les événements de la vie et cherchent à se construire un avenir coûte que coûte (est-ce que Gloria n'est pas installée dans un vrai logement, avec l'homme qui partageait ses errances et avec sa gamine ?) quand d'autres individus sombrent dans les pièges que la vie leur tend où qu'ils se tendent à eux-mêmes (est-ce que Michel n'a pas été l'artisan de sa propre perte?). Mais ce roman va plus loin : il illustre la complexité des sentiments, l'ambivalence du désir, les conflits qui peuvent naître et perdurer dans l'esprit de chacun d'entre nous, ce mélange de certitudes, d'hésitations et, parfois, de culpabilité larvée. Pascale Kramer explore et démonte pour nous les mécanismes, les paroles, les gestes, les attitudes et les émotions des individus car la vérité est dans les détails. Ce roman, comme toute son oeuvre, paraît marqué par la tristesse, le malheur, le drame, l'accident : la vie apparaît dans toute sa complexité et sa fragilité : le premier faux pas suffit à faire trébucher le plus vaillant d'entre nous. Dans « Gloria », les enfants se situent à un endroit névralgique, là où quelque chose peut céder ou se briser : Michel a trébuché du fait de ses relations avec des fillettes, mais c'est auprès de Naïs (et accessoirement des femmes comme Gloria, Marie, Vivane, etc.) qu'il cherche à se reconstruire un avenir présentable, qu'il cherche à exister autrement, car Michel voudrait se sortir des situations fausses, et potentiellement dangereuses dans lesquelles il s'est probablement trop souvent trouvé. A la faveur de ce roman, le lecteur s'interrogera peut-être sur le monde des précaires, des inadaptés, des assistés et sur l'aide effective que peuvent leur apporter parents, médecins, éducateurs, et autres, chargées de les assister : un théâtre contemporain qui paraîtra assez froid, en écho à la dureté de certaines vies de banlieue.

«Gloria» est considéré comme l'un des livres les plus aboutis de Pascale Kramer. Je vous invite à lire ce roman, « discret, sans esbroufe, sans folie mais inquiétant, trouble, irrésolu, où les rôles se renversent, où tout devient peu à peu incertain », un livre où Pascale Kramer s'est glissée « dans les failles de ses personnages et a déroulé le fil tendu d'un malaise très moderne ».
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