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Critique de Alzie


Un hors-série qui magnifie un chef-d'oeuvre de la statuaire grecque hellénistique, grâce à la photographie, on n'en n'attendait pas moins de ce numéro, entièrement dédié à la restauration récente de la Victoire de Samothrace.

Au verso du magazine également, un cadrage efficace - se jouant de l'architecture du musée et de l'appui d'une rambarde au premier plan -, offre de fait au lecteur/spectateur, l'illusion d'une intimité rêvée : la Victoire et son vaisseau restaurés apparaissent transfigurés, dans leur nouvelle scénographie. En haut du fameux escalier Daru, lui aussi toiletté, elle est donc revenue se poser. Avec la disparition du bloc qui la surélevait, elle retrouve le contact originel, qu'elle avait perdu, sur le pont du navire qui la portait. C'est maintenant la base qui a été posée sur un socle pour l'isoler du sol. Le monument a aussi reculé légèrement, vers le mur, pour faciliter le passage du public.

Un beau portfolio placé au coeur de la revue, amène le regard à s'attarder longuement sur des détails sculptés insoupçonnés : effets de plis dans la tunique (chitôn), du plus lourd au plus léger ; transparence et fluidité ; le manteau (himation) qui s'affaisse ; le corps se lit à travers le drapé mouillé ; trois plumes réintégrées et une paire d'ailes déployées. Vent et embruns de Samothrace sanctuarisés dans la pierre soigneusement nettoyée.

L'un des intérêt de ce hors-série est de fixer les étapes essentielles qui font passer la Victoire, rapatriée de Samothrace en 1864, du rang de statue à celui de monument. Première exposition en version mutilée (sans buste ni ailes), salle des Caryatides de 1866 à 1880 (clichés documentaires du XIXe siècle très intéressants). La claire identification des fragments de la proue, restés sur place, par des archéologues Autrichiens en 1873 et 1875, fait naître l'idée de la reconstitution de l'ensemble ; rapatriement des blocs ; première restauration achevée en 1883 puis son placement dans un décor un peu chargé, à son endroit actuel ; les années trente allègent la présentation générale, mais la statue restaurée en 1934 est maladroitement surélevée, un bloc intermédiaire assez disgracieux l'isole de sa base.

Après la virtuosité sculptée, le lecteur prend peu à peu la pleine mesure de la prouesse technique que l'assemblage périlleux de cet ex-voto géant a pu nécessiter : la statue, faite de six blocs de marbre blanc de Paros, vient se poser sur un navire composé de dix-sept blocs de marbre gris veiné de blanc, originaire de Rhodes. L'ensemble a-t-il été sculpté en un même lieu, où et pour qui ? Autant de questions qu'on a tenté d'élucider. Onze mois de restauration, de recherches et d'études qui sont racontées, en entretien croisé avec Ludovic Laugier, conservateur du patrimoine, Daniel Ibled, directeur du chantier et Sandrine Pagès-Camagna, ingénieur de recherche.

Marianne Hamiaux du département des antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, évoque, quant à elle, tous les tâtonnements d'une archéologie balbutiante, à la fin du XIXe siècle, dont les errements autant que les réussites (coopération archéologique franco-autrichienne) ont forgé notre vision de l'oeuvre. L'imagination se perd au milieu des îles de la mer Egée, sur les côtes thraces, dans le site du riche et très ancien sanctuaire des Grands Dieux de Samothrace, où la statue est mise au jour le 15 avril 1863, par un tourangeau épris d'archéologie, consul intérimaire et téméraire en poste à Andrinople, Charles Champoiseau. Les ruines, patiemment fouillées, après lui, contiennent encore les fondations de l'enceinte du monument (14 x 10 mètres), à partir desquelles se fondent aujourd'hui d'hypothétiques reconstitutions (p. 36-37).

Offrande commémorative probable d'une victoire navale, oui mais personne ne sait vraiment laquelle. Quant au destinataire ou à l'auteur ? Aucune pierre de dédicace retrouvée. En revanche, son style semble parler pour elle. Baroque hellénistique, tant l'oeuvre fait penser, par son traitement des drapés et des ailes, à la gigantomachie sculptée en haut relief sur le grand autel de Pergame (première moitié du IIe siècle avant J.-C.), visible à Berlin ; De même, pour la comprendre faut-il s'approcher, comme le propose Ludovic Laugier, d'autres oeuvres de la même période : la Vénus de Milo, sa compagne du Louvre, découverte en 1820 dans l'île de Melos ; Aprhrodite et Pan, découverts à Délos en 1904 (Musée national archéologique d'Athènes) ; le délicieux hermaphrodite endormi sur un matelas imaginé par le Bernin au XVIIe siècle (p. 48, oeuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C., d'après un original grec du IIe siècle av.J.-C.) ; une plaque de la frise du temple d'Artémis Leucophryène à Magnésie du Méandre (Turquie), jusqu'au portrait romain en marbre d'Alexandre le Grand, d'après un original en bronze de Lysippe, créé vers 320 av. J.-C.

Devant tant de beauté sensuelle et d'insondables mystères, une seul certitude s'impose : le Louvre reste l'un des majestueux dépositaire de ce que la Grèce a encore à nous dire. Courons voir cette Victoire nouvellement réinstallée.

Pour aller plus loin, voir la liste : La Victoire de Samothrace, redécouvrir le chef-d'oeuvre du Louvre (10 livres)
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