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Critique de Flaubauski


Je ne m'appuie que très rarement sur les couvertures de livres pour donner mon avis sur ceux-ci – et même pour les choisir –, mais je trouve que le choix de celle de Magnifique est lourde de sens, l'illustre particulièrement bien. C'est un extrait de photographie que je connaissais déjà, qui laisse voir un ciel bleu, des arbres, un oiseau, mais pas ce que l'oiseau survole : un tas de cadavres Tutsis, que l'on devine plus que l'on ne voit sous des vêtements aux couleurs vives.

Ce choix est intéressant, non seulement parce qu'il renvoie à l'histoire même de Magnifique Umuciowari, jeune femme qui découvrira ces cadavres plusieurs mois après s'être cachée pour survivre, après avoir échappé au massacre à la machette de tous ses pairs dans l'église de Massongo, où tous les Tutsis avaient été « conviés » par le prêtre pour se protéger des Hutus, mais aussi à l'histoire même du génocide rwandais. Son histoire, en effet fort complexe, dont l'enquête française mettant officiellement hors de cause des proches du président Kagame dans l'attentat du 6 avril 1994 sonnant le début du génocide ne se terminera qu'en 2018, est faite de nombreuses zones d'ombre, d'un ciel bleu qui cache les cadavres, d'une jeune femme, ici fictive, mais qui s'inspire de beaucoup d'autres, qui s'est cachée pendant des jours et des jours dans la terre la journée, allant chercher de quoi manger chez elle la nuit, et qui a caché, pendant des années, tous ses traumatismes à son mari, Jérôme, Suisse travaillant pour le CICR, qui passera des jours et des jours à son chevet, et qui tombera amoureux d'elle, avant de la ramener avec lui en Europe.

Ces traumatismes, qui vont la poursuivre pendant toute son existence, qui vont parfois l'étreindre face à certaines situations, à tel point qu'elle aura envie de mourir, elle se décide à les écrire au père de ses quatre enfants le jour où elle doit se faire opérer d'une tumeur dans l'oreille, et qu'elle peut ne pas y survivre. Ces traumatismes auront une incidence sur sa vie d'épouse, sur sa vie de mère, en ce que montrer l'amour que l'on porte est désormais une épreuve impossible. L'on a bien du mal à se dire qu'elle est tombée amoureuse de son mari, mais l'on le devine, par petites touches, lorsqu'il parvient à la faire revenir au présent, par des futilités, des sourires, alors qu'elle s'enfonce dans ce passé qu'elle est la seule à connaître, et qu'elle ne veut pas partager, ce dès avant le départ du Rwanda d'ailleurs. En effet, comment faire raconter l'irracontable, comment comprendre l'horreur, lorsque l'on ne l'a pas soi-même vécu ?
Ces traumatismes, ce sont ceux des survivants au génocide, qui doivent apprendre à vivre avec, à les taire, comme Magnifique, pour s'en échapper, ou à les partager, comme elle finira, finalement, par le faire, quand elle s'en sentira capable.

Jean-Félix de la Ville Baugé nous livre un roman particulièrement juste – l'on sent le regard de l'humanitaire qui a vécu, comme Jérôme, les évènements, étant envoyé au Rwanda en 1994 –, et complet malgré la brièveté : il explore tous les non-dits, toutes les zones d'ombre, intimes comme historiques, de la situation, faisant fi de tout manichéisme, sans prendre parti, mais en insistant, malgré tout, sur le traumatisme encore vivace des survivants face à la barbarie, presque trente ans après, incarné par une remarquable Magnifique, d'une force à toute épreuve, et sur la difficulté de dire, d'exprimer ce traumatisme.

Je remercie les éditions Télémaque et Babelio de m'avoir permis de le découvrir en avant-première.
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