Fred est un travailleur saisonnier qui fait escale chez un couple haut en couleur, Thérèse et Lucien. Il a raté sa correspondance, eux sont venus chercher un ami qui n'est pas venu et après avoir discuté des horaires des trains et de choses et d'autres pour passer le temps, le couple l'invite à dormir chez eux.
Il finit par accepter et se retrouve dans une grande propriété à la sortie d'Orchies, tout près de
l'autoroute. Mais, il est inquiet, cette générosité le surprend et le rend méfiant que se cache-t-il derrière ?
Ce couple s'est formé par hasard : Térèse a hérité la grosse maison d'une tante dont Lucien était le jardinier.
Fred, musicien dans l'âme, est venu dans la région pour gagner sa vie en arrachant les betteraves, dans l'équipe de nuit, dans des conditions de travail effroyables, inhumaines et ce qui ne devait être provisoire devient définitif : il reste habiter avec eux pendant la saison de travail.
Il va donc découvrir les secrets de ce couple bizarre, branché sur la dive bouteille et donc les résultats de l'ivresse. Il y a aussi les bruits que Fred entend pendant son sommeil et qui le réveillent sans qu'il arrive à les identifier. Et, tous les protagonistes étant en place, l'histoire est lancée.
Ce que j'en pense :
Fred, le narrateur est un héros plutôt sympathique. Il rêve d'être un musicien, un grand saxophoniste comme son oncle Frédéric. Mais, un jour, il a tout lâché car il n'avait pas suffisamment confiance en lui.
Il travaille dans des conditions effroyables, arrachant les betteraves sur des terrains immenses, plusieurs centaines d'hectares. Il conduit l'arracheuse de nuit, il faut faire très attention au brouillard, au froid, il doit suivre les sillons bien droit ne pas dévier de sa trajectoire car l'accident est vite arrivé et bien sûr on se réchauffe avec de l'alcool.
Ce qui l'aide à tenir, c'est la musique, ce jazz que son oncle interprétait si bien. Il a emporté son instrument avec lui mais refuse d'y toucher. Comme s'il se condamner à l'avance à ne pas vivre ses rêves et se contenter de travail difficile où il risque l'accident et la mort pour une simple inattention de quelques secondes.
Le reste du temps, il fait la connaissance du couple. Il n'a pas eu vraiment le choix, Thérèse l'a entraîné pratiquement de force et il s'est laissé faire. Il se rend bien compte que cet univers est toxique, ce n'est pas un château de contes de fées, il se passe des choses, il y a beaucoup de souffrance dans ce couple un peu bizarre.
Il leur sert souvent de témoin lors des disputes alcoolisées.
Thérèse a beaucoup bourlingué et elle a été chanteuse à une époque avec un succès relatif, et c'est une période de sa vie qu'elle ne peut pas oublier. Elle a eu « sa vie parisienne » et Fred est bon public. Elle est touchante dans sa manière de pressentir un don ou un avenir chez l'autre et essaie par tous les moyens de l'emmener vers cette voie même s'il n'en a pas envie.
Ces deux là ont la passion de la musique en commun et d'ailleurs, elle le pousse à rejouer de son instrument. Mais comment jouer quand on a les mains abimées, en sang par les betteraves…
Lucien est plus discret, amoureux de Thérèse, il aspirerait à une vie plus saine et sent venir la catastrophe. En fait, on la sent tous venir comme une intuition.
Le quatrième personnage important, c'est l'autoroute. Elle fait partie du décor, au bout des champs de la propriété, elle est un fil d'argent qui conduit quelque part mais elle représente aussi la route de la destinée de chacun et elle est tellement triste dans cette région de brouillard que le rêve d'une autre vie ne peut se situer qu'ailleurs. Une voie vers un autre avenir, mais y-en-a-t-il un ? La Belgique ? le paradis ? le rail sombre dans ce climat de grisaille.
Et dernier personnage : « la confrérie des routiers » si j'ose dire, ces hommes qui parcourent cette autoroute sans fin au volant de leur gros poids lourds et qui risquent eux-aussi de s'endormir à tout moment tant le paysage qui défile est monotone.
Ce livre est percutant, il alterne douceur et violence de la vie de tous les jours, (l'espoir est-il possible pour les routiers, les arracheurs de betteraves ou les habitants du coin ?). il est rythmé par le bruit des engins auquel répondent en écho tous les airs de jazz qui tournent dans la tête de Fred, et tout cela nous ensorcèle entre dans notre tête et on imagine, ce décor, on le voit tellement l'écriture est réaliste.
Je dirais pour les points positifs qu' c'est un sujet très original, avec des personnages travaillés qui ont du caractère. On a une belle description sociologique : ramasseurs de betteraves, star déchue, et on retrouve beaucoup d'empathie chez les protagonistes alors qu'ils souffrent, une entraide (cf. la scène des routiers qui arrivent chez Thérèse).
Je n'ai pas trouvé de points faibles : le roman est court mais il est tellement dense que le nombre de pages suffit.
C'est le premier roman de
Luc Lang que je lis, je ne connaissais pas du tout cet auteur, mais il m'a plu par sa densité : 142 p et lorsqu'on le referme on a l'impression d'achever un gros pavé, avec les camaïeux de gris et la musique à tue-tête qui résonne dans la tête et lui sert de thérapie, de doudou protecteur.
J'ai lu ce livre dans le cadre de mon expérience de Juré pour le grand prix FNAC rentrée littéraire et j'avoue que cela a été une bonne surprise. Je ne serais peut-être pas aller vers cet auteur spontanément et sur la sélection de cinq livres que j'ai eu à lire, c'est celui que j'ai préféré.
Note : 8,5/10
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