Le vrai canard

Chacun son morceau préféré dans le canard : effectivement, la première partie de cette enquête, la genèse de l'hebdomadaire, n'est pas toujours très digeste. Les éléments historiques, l'énumération de tous les personnages emblématiques du journal, la méconnaissance des vieilles affaires pour le jeune lecteur, tout cela pèse sur la lecture. Cette introduction d'une centaine de pages passée, cette salvatrice enquête sur le Canard Enchaîné (qui fonctionne légèrement à charge, il faut en convenir), devient roborative. On se passionne pour ces jeux en coulisse, ces faux-semblants à travers lesquels un autre Canard se dessine : un canard enfermé dans un carcan idéologique, avec ses réflexes bourgeois et claniques (qu'il passe son temps pourtant à fustiger chez les militaires, les politiques, les cléricaux), son machisme, sa censure et sa liberté d'expression à géométrie variable. On apprend ainsi que le journal a couvé Roland Dumas de sa bienveillance durant l'affaire Elf après de nombreux services rendus par ce dernier comme avocat du palmipède, que la satire et l'enquête cohabitent tant bien que mal (l'un n'allant pas forcément avec l'autre), que ses caisses sont pleines de plusieurs millions d'euros gérés en bon père de famille, que l'hebdomadaire s'est fait piéger plusieurs fois (Rainbow Warrior, Yann Piat, Afghanistan). Bref une vraie saga de plus en plus palpitante à mesure que la fin approche, et le chapitre sur la thèse "sociologique" du Canard par Micheline Mehanna n'est pas le moins intéressant, loin s'en faut ! A lire de toute urgence, que l'on soit de gauche ou de droite.