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Critique de Cancie


Très récemment j'ai pu voir sur France 2, un excellent documentaire intitulé : Décolonisations, du sang et des larmes qui nous rappelait qu'une société qui ne parvient pas à assumer un héritage, si encombrant et honteux soit-il, est vouée à se déchirer.
En lisant Rivage de la colère, ce magnifique roman, je n'ai eu de cesse de repenser à ce film.
Si le Royaume-Uni semble bien s'en sortir et avec une certaine humanité, en acceptant l'indépendance de l'île Maurice le 12 mars 1968 suite au référendum du 17 août 1967 où le oui l'avait emporté, une clause classée Top Secret révèle un gâchis monstrueux et un complet désintérêt pour la souffrance humaine : "l'indépendance de Maurice était conditionnée au "détachement" de l'archipel des Chagos" (l'archipel des Chagos avait été rattaché à la colonie Maurice en 1903). Un accord secret était passé entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour louer Diego Garcia, un atoll de l'archipel des Chagos aux Américains, un projet de base navale étant en vue. Un plan en trois étapes était prévu par les Britanniques : "D'abord, encourager les départs volontaires, sans préciser aux voyageurs que le retour sur l'île leur serait interdit. Ensuite, pousser les gens à partir d'eux-mêmes en stoppant l'acheminement de vivres et de biens via les navires de ravitaillement. Enfin, face à d'éventuels récalcitrants, ne pas hésiter à employer la force".
C'est cette sombre histoire que Caroline Laurent retrace superbement.
En alternant deux récits, celui assez bref de Séraphin, le fils qui raconte le combat qu'il mène pour pouvoir revenir sur cette île, ayant pris dans cette lutte, la suite de sa mère et celui de la vie de cette dernière Marie-Pierre Ladouceur, racontant la vie sur l'île, sa rencontre avec Gabriel et les conséquences qu'ont pu avoir l'indépendance de l'île Maurice et ce fameux dossier Top Secret sur sa vie, sur leur vie et celle des autres Chagossiens.
Le récit de Marie débute en mars 1967 et se situe sur la plage de Diego Garcia, sur l'archipel des Chagos. Elle est la première à apercevoir le cargo "Sir Jules" chargé de tant de rêves : "Un royaume se déversait sur les plages de l'île. Des denrées introuvables à Diego, comme le riz, la farine, ou le sucre ... du vin, du tissu, du savon, des médicaments...." Les hommes sortent des entrepôts et elle, va aussitôt à la parcelle où les femmes écalaient les cocos pour les prévenir. Sa soeur Josette attend avec impatience l'arrivée du curé qui pourra l'unir à Christian. Et voilà que débarque un beau jeune homme, à la peau couleur "thé au lait", il arrive de Port-Louis, s'appelle Gabriel Neymorin. Il est le nouveau secrétaire de Marcel Mollinart, administrateur de l'île et qui possède la plantation de coprah. Des tonnes de ce coprah sont exportées chaque année vers Maurice et le reste du monde et Gabriel devra veiller avec lui sur sa production.
Dès les premières pages, j'ai été embarquée dans ce roman imprégné de couleurs, d'odeurs, de sentiments, de sensualité, d'exotisme. J'avais l'impression d'être moi-même sur la plage de cette île paradisiaque. Mais bien vite, dans cette vie simple et heureuse va se profiler un changement quasi imperceptible au début, qui va progressivement enfler jusqu'à ce moment où tout va basculer lorsque les derniers Chagossiens vont être convoqués sur la plage par des soldats Britanniques. Ces derniers leur demandent de rassembler quelques affaires, seulement l'essentiel, ils doivent évacuer Diego Garcia pour Maurice sur le champ.
Les regards perdus, les lamentations, l'incompréhension : le désarroi est total. Pourquoi doivent-ils quitter leur île, qui l'a décidé, quand reviendront-ils ? Autant de questions pour lesquelles aucune réponse n'est apportée
Quelle sensibilité, quelle justesse l'autrice a su rendre dans cet exode ! C'est d'une tristesse inouïe.
Que d'émotions ressenties tout au long de ce roman sur l'exil et la révolte dans lequel la fiction permet de faire connaitre à chacun ce drame historique, cette injustice incommensurable.
Grâce à ce roman historique et à travers l'épopée de Marie Ladouceur, j'ai d'abord découvert ces îles Chagos dont j'ignorais l'existence, et surtout le terrible destin qui a été réservé à ses occupants lorsqu'en 1971 ils ont dû quitter leur île et n'ont jamais pu y revenir. Une île vidée de ses habitants pour l'installation d'une base américaine.
Caroline Laurent fait revivre ces conditions de transport dans les cales du cargo, l'accueil inexistant sur l'île Maurice et l'obligation alors pour survivre de rejoindre un bidonville, sans jamais tomber dans le misérabilisme, mais en donnant à ses personnages tout le courage et la force nécessaires pour vaincre ces moments qui ne devraient jamais exister. On ne peut être que scandalisé par de tels traitements. Des faits dont les médias se sont désintéressés et dont ils ne parlent toujours pas, bien que la Cour internationale de justice de la Haye, la plus haute juridiction des Nations Unies ait jugé, en 2019, que l'administration britannique de l'archipel des Chagos, dans l'Océan Indien, ne devait plus exister plus de 50 ans après l'annexion, jugée "illégale" de l'archipel par le colonisateur britannique. Une victoire symbolique pour les Chagossiens même si l'avis n'est pas contraignant.
Merci à Caroline Laurent pour cet ouvrage au souffle puissant qui a été pour moi un véritable coup de coeur et qui a remporté le Prix Maison de la presse 2020 !

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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