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Critique de berni_29


Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : Deux contes, c'est le dernier ouvrage que vient de publier J.M.G. Le Clézio. Ces deux textes se veulent être justement pour l'auteur deux contes. L'écrivain, qui nous habituait jusqu'ici à introduire une dimension romanesque dans son oeuvre, s'en détache désormais avec pudeur et délicatesse, avec émotion aussi.
C'est un rapport à l'écriture, à la création, à l'enfance aussi, surtout l'enfance, ce thème qui domine ces deux contes. L'enfance ici est en effet au coeur de ce double récit, comme une passerelle, quelque chose qui va et vient, comme un écho, comme une balançoire, comme le vent dans les arbres, comme une respiration entre le temps d'avant et le temps de maintenant. C'est un voyage entre la Bretagne et la Provence. C'est douloureux comme si l'enfance n'avait jamais existé.
Le premier conte nous ramène à la Bretagne, un endroit que je connais très bien, le village de Sainte-Marine, en Finistère, au bord de la mer. Avant qu'il ne devienne une station balnéaire prisée par les touristes parisiens, c'était avant tout un village de pêcheurs. J.M.G. Le Clézio y venait l'été avec son frère. J'aime cet endroit, je préfère y venir l'hiver loin de la foule estivale. Jusqu'à la pointe de Combrit, jusqu'à la mer plus belle encore l'hiver. Il y a un sentier côtier qui offre une vue splendide sur la mer, l'horizon et au détour de la pointe, l'île Tudy. Lorsque le ciel est bien dégagé, on aperçoit au loin Les Glénans...
Mais je dirais plutôt que c'est l'enfance et la guerre qui sont au coeur de ces deux récits. Être enfant pendant la guerre est terriblement cruel. J.M.G. Le Clézio nous le rappelle avec cette manière à la fois distanciée, douce et douloureuse.
Les enfants ne savent rien lorsque la guerre vient, lorsque la guerre est là. Les adultes tentent de les protéger comme ils peuvent, parfois avec des mots, des sourires, des contes, des astuces inouïes et merveilleuses pour les distraire du bruit des bombes et de l'envie de sortir dans les rues pour courir. Que restent-ils longtemps après ce traumatisme ?
Que reste-t-il de cette enfance ? Qu'aurait été cette enfance sans la guerre ? Qu'aurait été l'insouciance ? le sable, le soleil sur la peau, les jeux cruels sur la plage ? Pourtant, ces souvenirs furent là aussi...
La dimension romanesque laisse place à la vie d'avant, un voyage vers l'enfance, l'odeur du foin et des moissons, du cidre qu'on buvait tiède à cette époque, la langue bretonne, ceux qui la parlaient avant, ici, tandis que le second conte se déroule dans l'arrière-pays niçois, sur le versant d'un texte plus douloureux. Le coeur de l'auteur bat entre ces deux rivages...
C'est une merveilleuse communion avec les gens d'ici et d'avant. Chanson bretonne, le premier conte est une hymne à la Bretagne, à celle que j'aime, authentique, sobre, respectueuse de sa terre et de ses chants. L'auteur évoque comment la langue bretonne fut anéantie progressivement et je me suis alors souvenu ce que ma grand-mère me racontait, les enfants punis à l'école parce qu'ils parlaient bretons, condamnés à rester dans la cour de la récréation sous la pluie battante avec une pancarte humiliante autour du cou : « je ne parlerai plus breton ».
Nous apprenons que le patronyme Le Clézio provient du mot « Cleuziou », qui signifie en breton : talus, ces talus détruits par l'agriculture intensive qui a dévasté progressivement les paysages bretons. L'écrivain s'en révolte aussi...
Le second conte, L'enfant et la guerre, est antérieur au premier texte, dans la vie de l'écrivain. Il offre les premiers souvenirs de la vie de J.M.G. Le Clézio. Ils sont terribles puisque ce sont des souvenirs de violence. Des bombes qui tombent du ciel comme de la pluie... C'est la fin de la guerre, mais les fins de guerre sont parfois pires que leurs débuts...
L'auteur nous révèle que cette enfance fut « une peur sans visage, sans nom, sans histoire ».
Est-ce la magie de la mémoire, savoir oublier ce qui fut horrible, savoir trier dans l'horreur et trouver l'écho d'une fête dans le petit village de Sainte-Marine, des enfants qui crient sur une barge entre deux quais, entre deux rives, se jettent de l'eau à gorges déployées ? Plus loin c'est un champ de blé qui ondule face à l'océan, comme un prémices au mouvement de l'océan.
« Les enfants ne savent pas ce qu'est la guerre ». Comme cette phrase est douce et douloureuse...
Ce n'est ni une confession, ni un album de souvenirs. Ce n'est pas une autobiographie de l'auteur, il s'en défend farouchement. Il se défend de délivrer un récit chronologique, car « les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie ». Ce n'est qu'une chanson bretonne, quelque chose qui revient dans la mémoire comme un refrain, un air entêtant qui ne vous lâche plus, jusqu'à l'obsession, un kan ha diskan comme on dit ici, le mystère de la Bretagne et de l'enfance en même temps...
Ces retrouvailles avec J.M.G. Le Clézio m'ont étonné. Agréablement surpris. J'ai l'impression que cet auteur auquel je suis attaché depuis longtemps, pour l'avoir également rencontré dans une librairie brestoise en 1995 à l'occasion de la dédicace d'un de ses romans, La Quarantaine, se délivre plus que jamais, laissant tomber le voile sur un pan intime de son existence qui a, je pense, forgé et dicté son esprit créateur à jamais. C'est pour moi un coup de coeur et je tenais à vous le partager...
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