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Critique de Lune


Lune
01 novembre 2012
Ce livre est un O.L.N.I., un objet littéraire non identifié, si l'on veut bien me permettre cette formule. Est-ce un roman, tel qu'annoncé sur la couverture ? Oui et non ! La musique est-elle le sujet du livre ? Oui et non ! Carlos Kleiber en est-il l'objet ? Oui et non !
Ce livre est un roman si l'on considère les personnages : le premier, le journaliste qui n'a pas de nom et qui, à part l'introduction où il est « Je », n'existe qu'en creux dans le long monologue du deuxième personnage, Nikolaus, autrichien d'origine et homosexuel, ayant passé toute sa carrière en tant que violoniste dans l'orchestre de Stuttgart, aujourd'hui à la retraite et installé à Rome où il vit avec son ami de toujours, le hautboïste Dieter, alors que la maladie d'Alzheimer le gagne peu à peu.
De quoi et de qui, surtout, s'entretiennent-ils ? de Carlos Kleiber, chef d'orchestre mythique (1930 – 2004), dont on sait relativement peu de choses puisqu'il refusait toute interview et a laissé peu d'enregistrements. Pour nous le rendre plus présent, Bruno le Maire utilise la fiction en faisant de Nikolaus un témoin privilégié : il a joué sous sa baguette et est même devenu son ami et ce, jusqu'à la fin de la vie de Carlos Kleiber. Habile subterfuge qui, tout en nous révélant des faits exacts, permet de combler les lacunes d'une vie qui en quelque sorte fut romanesque. de ce point de vue, le livre est donc un roman avec un personnage central mystérieux et fascinant qui réunit tous les ingrédients du héros : une quête d'absolu dans l'interprétation de la musique, une exigence envers les autres et envers lui-même jusqu'à en devenir psychiquement atteint au point de se vouloir « superflu ».
Ce livre n'est plus un roman si l'on prend en compte toutes les digressions dont Nikolaus émaille son récit, et elles sont nombreuses. Bruno le Maire met dans sa bouche une série de considérations qui touchent beaucoup de domaines. Trop sans doute, car dans un si minuscule ouvrage, 103 pages, rien de ce qui mériterait de l'être n'est traité suffisamment. Je cite en vrac : le rejet de l'homosexualité dans les petites villes d'Autriche des années 40-50, l'horreur qu'elle inspire à la famille conduisant Nikolaus à l'exil en Allemagne, les différences de perception des événements historiques entre l'Allemagne et la France (la disparition de l'Empire austro-hongrois après la guerre de 14-18, le Traité de Versailles vécu comme une humiliation ce qui entraîna l'aveuglement des allemands – et des autrichiens après l'Anschluss – lors de la montée du nazisme – le père de Carlos Kleiber, Erich, lui-même immense chef d'orchestre, préféra s'exiler en Argentine, d'où le prénom hispanique de son fils (en fait Karl-Ludwig), parce que la propagande nazie interdisait de jouer Alban Berg – , la culpabilité des allemands après la seconde guerre mondiale entraînant des attitudes politiques qui aujourd'hui s'étiolent) conduisant en somme à un quiproquo grandissant au niveau de la construction de l'Europe dans laquelle la France pourrait bien perdre son statut de leader de la bonne conscience, les différences de sensibilité en matière culturelle (la littérature et la peinture aux dirigeants français – Mitterand est nommément cité, mais plane l'ombre de Pompidou – la musique aux dirigeants allemands), etc ... On le voit, transpire à travers ces réflexions une analyse – mise en garde ? – de l'homme politique Bruno le Maire, ancien ministre de Nicolas Sarkozy. On ne se refait pas ! Tout cela est intéressant et les deux « lectures » du livre s'imbriquent assez bien : les éclats de vie de Carlos Kleiber livrés au fur et à mesure, dans un ordre non chronologique, sont prétextes à digressions et vice versa. Mais il est deux points sur lesquels, personnellement, je tique. le premier concerne la comparaison entre le monde musical et le monde politique, tous deux très âpres et ingrats, bien entendu, mais la mise en scène imaginée par Bruno le Maire pour l'exprimer m'est apparue désagréablement tirée par les cheveux. le deuxième est relatif à une espèce de péché originel du livre : le Maire fait dire à Nikolaus que les politiciens français ne sont pas attirés par la musique, mais lui, l'auteur, homme politique de premier plan, en est inspiré avec une telle force qu'il lui consacre un livre. Comble du narcissisme ! Un politicien resterait-il toujours un politicien ? Bruno le Maire devrait apprendre à se méfier de lui-même. Son livre est bien écrit, mais dans une langue facile, dialoguée, quotidienne (démagogie ?). Il intéresse mais ne passionne pas. Je n'y ai trouvé aucune phrase qui aurait pu me transporter.
Alors, opuscule opportuniste ou ouvrage sincère ? Un peu des deux sans doute. Un roman ? Définitivement oui et non ! La musique sort-elle gagnante ? Peu ! Carlos Kleiber, objet du livre ? Certes, mais lui qui ne s'intéressait pas à la politique, à l'image de son père qu'il avait élevé au rang d'icône, qu'a-t-il avoir avec les opinions de Monsieur le Maire ? Rien, mais ce livre, quoique j'en pense, a le mérite de nous le ramener à la surface de notre mémoire et nous rappelle qu'il fut un immense musicien, un des tout grands musiciens de la seconde moitié du 20e siècle.
Alors, réécoutons le peu qu'il nous a transmis, c'est le mieux qu'il reste à faire
Je vous le disais, un O.L.N.I., ce livre est un O.L.N.I.

Cantus.
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