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Critique de Antyryia



En arrivant à l'hôpital des Charmettes, je suis accueilli pas le responsable en personne.
- Bonjour monsieur Ravier
- Bonjour inspecteur Antyryia. Qu'est-ce qui vous amène ?
- Simple contrôle de routine. Je viens vérifier que les conditions d'hygiène et de sécurité sont normalement respectées.
- Suivez-moi. Nous allons faire le tour du propriétaire.

Une fois le gigantesque hall franchi, nous atteignons les premières salles d'opérations.
- Je vous présente Audrey, qui est en attente de greffe. Par chance - enfin, façon de parler - une enfant du même groupe sanguin vient de décéder et nous avons réussi à convaincre la mère : sa fille est compatible pour permettre la greffe de rein. Quand le chirurgien aura terminé, il opérera ensuite Sarlande, le chef du haut conseil.
- Qui est le donneur ?
- Je ne sais pas encore. Nous avons envoyé Donatien en mission, c'est un chasseur d'organes. Quand nous avons besoin d'un foie ou d'un rein compatible avec un patient, il nous le rapporte. Il trouve l'homme, la femme ou l'enfant correspondant à nos besoins et fait ce qu'il y a à faire pour prélever un organe sain. Ca peut vous paraître barbare mais
ce sont les aléas des progrès médicaux. La contrepartie, c'est que Sarlande a plus de six cents ans aujourd'hui.
Muet, je continue à accompagner le directeur. Je prends quelques notes dans mon carnet.
- Ici travaille l'un des plus grands chirurgiens. Martin est vraiment un as du scalpel.
- Pourquoi ce ton hésitant ?
- J'envisage hélas de le renvoyer. Je le soupçonne de voler la morgue de notre établissement. Mais sa femme est atteinte de myossite ossifiante, ce qui signifie que ses os se greffent les uns aux autres en une formation anarchique. Elle n'en n'a probablement plus pour longtemps.
- Vous faîtes quelque chose de particulier pour soulager les malades en fin de vie ?
- Certaines femmes ont des demandes spécifiques. Une infirmière fait le lien avec un gigolo qui est grassement rémunéré pour les faire monter au septième ciel une dernière fois. Ce n'est pas très légal mais comme tout le monde y trouve son compte ...
Je note également l'information sur mon carnet. Je déciderai plus tard de ce qu'il convient de faire de cette entorse au règlement.
- Vous pratiquez l'euthanasie ici ?
- Euh ... Il y a des rumeurs sur des anges de la mort qui soulageraient des patients en fin de vie, et quand nous avons un patient tatoué d'un "Waffen-SS" qui arrive, il repart souvent les deux pieds devant, c'est vrai. Mais il s'agit davantage d'oeuvrer pour le bien public que d'euthanasie.

Nous longeons un nouveau long couloir et arrivons aux chambres pour enfants. Ils sont deux dans la première.
- Je vous présente Valentin et Cécile. le docteur Simon va les examiner tout à l'heure.
- de quoi souffrent-ils ?
- Valentin, de solitude aigüe, Cécile de malformation congénitale. Elle ne deviendra jamais adulte.
La chambre suivante est plongée dans l'obscurité. Je distingue cependant sous les couvertures une silhouette pâle.
- Cette jeune fille souffre d'une maladie génétique rare empêchant la fabrication de l'hème : la porphyrie.
- Jamais entendu parler. Quels en sont les symptômes ?
- Outre les douleurs abdominales, vous avez devant vous une fillette qui ne supporte pas la lumière du jour, dont la pilosité est plus dense que la normale, qui est allergique à l'ail, dont les dents sont proéminentes et qui occasionnellement se nourrit de sang. Comme vous l'aurez compris, c'est la porphyrie qui a probablement donné naissance aux mythes des loups-garous et autres vampires. Mais la maladie est pourtant bien réelle.
Avant même d'ouvrir la porte suivante, j'entends la respiration saccadée de la patiente.
- Je vous présente Fannette. Elle est née avec une dysphasie bronchopulmonaire. Il lui manque autrement dit des alvéoles dans les poumons.
Je comprends mieux la présence de tous ces tuyaux, toutes ces machines. L'enfant est branchée à un respirateur qui l'alimente en oxygène et je distingue également un humidificateur d'air à proximité.
- Elle devrait bientôt pouvoir rejoindre ses parents, poursuit mon interlocuteur. Même si son père vit très mal la situation.
Dans la pièce suivantes, ce sont des dizaines de lits qui sont entassés pêle-mêle dans la chambre.
- Ils sont tous orphelins. Là-bas, au fond c'est Acromega. A côté, Progeri. Sur la rangée du dessous : Myofa, Mucovisci et Lysoso. En bas à droite vous avez Mici et Leucody.
Un spectacle de cauchemar. Chacun a ses tares, ses dérèglements, ses pustules, ses tumeurs, ses difformités ou ses excroissances...
- Et pour les soins, vous avez suffisamment de personnel ?
- C'est marrant que vous me posiez la question. Au rez-de-chaussée on arrive à gérer mais à l'étage nous avons eu à déplorer le décès de quelques infirmières récemment.
- Qu'est-ce qui se passe à l'étage ?
- C'est le service gériatrie. Une première interne a fait une chute mortelle dans les escaliers, et une autre a bientôt suivi, dans les mêmes circonstances étranges.
- Vous avez des patients célèbres ?
- Oui, en gériatrie justement, le commissaire Antoine San Antonio est notre hôte. Il fait encore fantasmer les infirmières malgré son âge avancé, mais même avec la petite pilule bleue il a bien du mal à les satisfaire. C'est triste de vieillir, lui qui était toujours si fringant dans les nombreux romans de Frédéric Dard.
Mon petit cahier continue à se noircir avec un paragraphe supplémentaire.

Nous arrivons à une nouvelle salle. Un enfant en réanimation est relié à une poche de sang.
- Je vous présente Mathias Duvara. Il a été percuté par un véhicule, et le chauffard a pris la fuite. Un nouvel infirmier, Vuk, chasseur de zombis à ses heures perdues, s'est occupé de la transfusion.
- Pour les transfusions justement, vous avez ce qu'il faut ?
- Oui, grâce aux poches de sang vendues par l'EFS, l'établissement français du sang.
- Les dons du sang sont faits à titre gracieux pourtant !
- En effet, et on compte 1.7 millions de donneurs en France. Mais les hôpitaux doivent tout de même payer ces poches d'hémoglobine en fonction de leurs besoins. Derrière ces dons il y a tout un système économique souterrain entre les hôpitaux, l'EFS et les mutuelles. Les enjeux financiers sont énormes.

- Passons à l'aile psychiatrique, si vous voulez bien.
Nous franchissons une nouvelle porte battante et un long couloir immaculé.
- Nous n'avons que deux patients. Ne soyez pas surpris.
Je vois derrière un hublot une femme à la chemise de nuit trempée à l'entrejambe. "HELP" est écrit au dentifrice sur un mur de la pièce.
- Cette patiente est un cas particulièrement difficile. Elle est totalement renfermée. Depuis qu'elle avale ses médicaments au lieu de les recracher c'est encore pire.
En face, la porte n'est étrangement pas fermée à clef, et pourtant l'occupant a l'air très agité.
- Pourquoi n'est-il pas enfermé ?
- Parce qu'il est libre, même s'il est convaincu du contraire. Cet homme est atteint d'une grave dépression suite à une rupture particulièrement difficile et il est convaincu d'être retenu prisonnier.

- Et cette porte elle mène où ?
- Au sous-sol, où est alité un cas un peu particulier.
- Vous voulez dire que tous ces cas vus jusqu'à présent sont ...
- Vous allez voir, me coupe le directeur.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
Enchaînée, une masse informe, immonde, gélatineuse semble se débattre et vouloir me sauter à la gorge.
- Ca c'est le cancer. Nous avons réussi à sauver un patient de cette saloperie et nous avons pu isoler le monstre ici. Mais de toute évidence, il n'a qu'une envie : y retourner pour terminer le travail commencé.

En revenant sur nos pas, je réfléchis à mon rapport qui sera plutôt accablant. Soudain, je sens qu'on me frappe à la tête et je m'évanouis.
Au réveil, je suis sanglé sur un lit d'hôpital et je vois près de moi une table métallique couverte de scalpels, bistouris, seringues et autres instruments de torture terrifiants.
- Merci d'être passé inspecteur, chuchote Ravier. Nous avons fait quelques analyses et vos reins, votre foie et vos yeux semblent parfaitement sains et comptatibles avec certains de nos patients en attente de greffe. Vous allez pouvoir en sauver quelques uns, soyez-en honoré.
Mon hurlement s'étouffe dans le bain de sang qui inonde ma bouche.
Est-ce ma langue que je distingue dans ce bocal posé à proximité ?
 
* * *

Santé ! est un recueil de seize nouvelles publié en 2013, préfacé par Marina Carrère d'Encausse, et dont les droits d'auteur sont reversés à la fondation "maladies rares".
Parmi les auteurs du Noir les plus célèbres ayant contribué à ce recueil, on y retrouve Bernard Minier, Claire Favan, Armelle Carbonel, Jacques Saussey ou encore Michaël Moslonka, Stanislas Petrovsky qui sont des noms qui gagnent en notoriété.
Evidemment, l'initiative se doit d'être saluée et est à elle seule une bonne raison de se procurer ce livre. Et si vous lisez des polars habituellement, vous retrouverez probablement quelques unes de vos plumes préférées.
Après, objectivement, le recueil est moyen. le thème de la maladie, souvent rare, a su inspirer quelques auteurs mais d'autres sont passés à côté à mon avis, ce qui donne au final un recueil de qualité très inégale. Que vient faire là-dedans un hommage à San Antonio, aussi respectueux soit-il ?
Je m'attendais en outre à lire uniquement des textes policiers et le recueil est beaucoup plus varié.  Bien souvent noir certes  mais l'humour côtoie la tragédie, la science-fiction L Histoire, et le côté thriller n'est donc pas commun à chaque nouvelle.
Dans le petit texte ci-dessus vous trouverez des références en tout cas aux seize histoires, sachant que ma préférence ne va cette fois pas forcément à mes écrivains favoris ( Jacques Saussey et Armelle Carbonel tirent quand même bien leur épingle du jeu ) mais davantage aux histoires contées par Gaëlle Perrin ( Lettre à toi est magnifique et horrible à la fois ) ou du franco-québécois André Marois avec son petit bijou irrévérencieux : Trois petites morts avant la grande. Mais la gravité des sujets parfois proposés avec notamment les maladies rares infantiles ne permet pas de signer un chef d'oeuvre pour autant et à mon sens certains sont passés complétement à côté et m'ont même ennuyé ( Jean-Luc Bizien, Luc Doyelle, Max Obione ).
Cinq étoiles pour l'initiative et la générosité, mais juste la moyenne pour un recueil mitigé dans la qualité des textes proposés.
Mais même si seule une moitié parvient comme moi à vous convaincre, le geste demeure important puisqu'il correspond à un petit pas supplémentaire vers la connaissance de ces sept mille maladies rares répertoriées et qui concernent pas moins de trois millions de français.
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