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Critique de LaBiblidOnee


C'est sans lui donner aucune vue d'ensemble préalable que l'auteur jette son lecteur dans ce bunker, Beaufort, comme les soldats y sont eux-mêmes projetés des convois qui les amènent. Avec eux nous sommes coincés, à l'étroit, pouvant à peine respirer tant l'air y est vicié : pieds, saucissons, latrines et transpiration. le récit est pourtant si bien rythmé que les pages tournent toutes seules. Alors on continue, on emmagasine les informations sur ces militaires israéliens à la frontière du Liban, leurs us et coutumes. On commence à comprendre ce qu'ils vivent sur ce front, dans ce fortin situé sur la frontière qu'ils protègent, pour ne pas qu'elle soit infiltrée par le Hezbollah : Dans le « sous-marin », on ne prend pas de douche qui nous rendrait trop vulnérable sans gilet pare-balle, et on n'enlève pas ses chaussures ni sa tenue pour dormir, histoire d'être opérationnel en cas d'attaque. Bien-sûr, malgré les précautions, des opérations foirent et des drames se produisent que l'on commence à ressentir avec eux.


Et ressentir, dans une lecture, c'est le début de quelque chose : On s'attache aux personnages, on apprend à les connaître au-delà de leur attitude provocatrice de guerriers, de leurs fanfaronnades de façade. On comprend leur besoin de rire, leur besoin d'amour, de s'occuper l'esprit ; leur besoin de se battre pour avancer, être utile, ne pas sombrer ; leur pétage de câble, leur distance avec tout ce qui les attache, les déconcentre, les affaiblit ; leur incompréhension des vies futiles de leurs concitoyens en même temps qu'ils les envient, et tentent de s'y projeter, de s'y intégrer même. Souvent en vain, à cause du décalage, ou car ils sont morts avant. de plus en plus, on entend leur peur, et leur colère aussi : quand la hiérarchie ne les soutient pas ; quand les médias disent n'importe quoi ; quand les leurs meurent dans l'indifférence ou bien, paradoxalement, lorsqu'on les empêche de se battre, d'aller au front chopper les terroristes qui ont abattu les leurs, lors du dernier convoi piégé, et de les ramener, morts ou vifs, pour venger les copains et protéger la population civile, là-bas, juste après la frontière où ils s'enterrent et veillent.


Oui, ils s'enterrent - vivants - avec en fond sonore les tirs ennemis et explosions, sentant leurs vibrations jusque dans leurs os. Ils s'enterrent dans ce fortin, d'où ils n'ont presque pas le droit de sortir car ils seraient des cibles faciles, surveillés qu'ils sont des collines alentours ; dans ce fortin d'où ils doivent, la plupart du temps, se contenter de surveiller les mouvements ennemis, et empêcher les terroristes d'approcher le camp pour miner les alentours et les voies d'accès - ou pire : prendre le fort par surprise et niquer tout le monde pendant leur sommeil. Alors pendant les tours de garde, interdit de fumer pour ne pas se faire repérer, interdit de poser les armes afin de pouvoir riposter immédiatement - et donc de fait, interdit de se branler, sûrement la pire interdiction de toutes. Interdit même de pisser. Parler, tu peux, tu dois même, lorsque les tiens meurent durant l'une des rares opérations commanditées hors du camp. C'est essentiel pour ne pas s'emmurer vivant dans son silence, sous tout ce béton ; autant dire pour ne pas devenir une tombe. A ton tour. Mais quoi dire pour meubler le vide que laissent les morts, qui ne soit pas tout aussi vide de sens ? Dire ce qu'il ne seront plus, ne feront plus. « Zitlawi ne se curera plus le nez au feu tricolore et ne passera pas au rouge, avec la police juste dans le dos (…), il ne sera pas père, ni grand-père, et il n'apprendra pas le saut en chute libre. Vous saviez que cet enfoiré voulait être para ? »


Une belle réflexion qui part de l'humain pour s'étendre une fois de plus au non-sens des guerres, à leurs conséquences autant sur les populations civiles que sur les soldats que nous y envoyons, aux conséquences physiques et psychologiques. L'un des intérêts de ce roman est, pour une fois, de nous montrer un monde militaire ni américain ni français. Ecrit comme un témoignage de l'un de ces officiers, avec ses mots bruts et crus masquant une grande sensibilité, ce roman délivre ses points de vue sur le monde et les gens qui l'entourent, rendant ce récit réaliste et poignant. La narration gagne en intensité jusqu'à littéralement l'explosion finale, nous empêchant de refermer ce livre avant de l'avoir fini. Je le referme, vivante, et je pourrais toujours le relire, ou lire autre chose, écouter le glouglou du café qui coule dans la cafetière, m'énerver contre mes voisins qui font du bruit, sentir la rosée sous mes pieds nus au petit matin, m'abandonner à la caresse du soleil sur la plage l'été… Grâce à d'autres hommes, d'autres soldats, qui se battent pour leurs pays, leurs concitoyens, jusqu'à leur offrir ce qu'ils ont de plus précieux : leur vie. Merci Booky pour le conseil de lecture.


« Et moi, entre temps, j'ai déclaré la guerre à l'humour noir. Parce que l'humour cache aussi la détresse, et presque toute la section en était atteinte. »
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