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Critique de Nic54


Nic54
16 février 2024
Depuis quelques années, la production littéraire autour du destin tragique qu'a réservé l'Allemagne nazie au peuple juif d'Europe est pléthorique, de nouveaux ouvrages apparaissant régulièrement sur les tables des librairies, qu'ils soient de nature documentaire ou fictionnelle. La Bibliothécaire d'Auschwitz, La Sage-femme d'Auschwitz, Les Couturières d'Auschwitz, L'Horloger de Dachau, La Libraire de Dachau. Depuis le succès du Tatoueur d'Auschwitz d'Heather Morris, je ne peux imaginer qu'il n'y ait pas une intention commerciale derrière chaque nouveau roman publié sur ce sujet. C'est d'ailleurs pour cela que je me tourne naturellement vers les témoignages et documents d'archives, bien qu'ils ne soient pas immunisés contre le marchéage.

Le Survivant est donc une autobiographie de Josef Lewkowicz, « rescapé de six camps de concentration » et « chasseur de nazis » comme l'indique la première de couverture, écrit en collaboration avec le journaliste Mike Calvin. Un sous-titre qui m'a donné envie d'en découvrir plus sur cet homme aujourd'hui âgé de 96 ans.

Une large partie du livre est consacrée à la lente descente aux enfers de la famille de Josef dans la Pologne annexée ainsi qu'à ses années de captivité dans les camps. Bien que connaissant l'horrible réalité que renferme ces lieux, je redécouvre grâce au témoignage de Josef le haut degré de cruauté des agents du système concentrationnaire du Troisième Reich. Amon Göth, le commandant du camp de Plaszow que l'on voit dans La Liste de Schindler sous les traits de Ralph Fiennes, est ici le représentant de cette monstruosité à visage humain. Ainsi, le laxisme administratif dont bénéficiait le camp de travail de Plaszow concernant le suivi des pertes humaines, Göth en tira un profit tout personnel, exécutant quotidiennement, arbitrairement et froidement de nombreux prisonniers, par pur sadisme, bien souvent par balle, parfois en lançant ses chiens, Ralf et Alf, sur ses victimes. En revanche, je découvre l'existence d'un système de classement par niveau hiérarchisant les camps, et les ignobles conditions de détention que réservait Mathausen, un des deux seuls camps de niveau III du territoire et dernier lieu de détention de Josef avant sa libération par les forces alliés. « Les détenus pouvaient être gazés, pendus, fusillés, battus. Des Juifs hollandais ont été frappés jusqu'à ce qu'ils se jettent du haut d'une falaise dans la carrière de pierre. Ceux qui n'étaient pas morts ont été ramenés en haut et poussés une deuxième fois dans le vide. Il y avait aussi l'exposition au froid. A l'arrivée, les déportés étaient laissés dehors, quasiment nus, contraints à rester debout, quelle que soit la température. Certains ont été tués à coups de hache ou de marteaux, certains ont été déchiquetés par des chiens spécialement entraînés à cet effet. » détaille t-il dans le livre. Lui-même a d'ailleurs frôlé la mort à plusieurs reprises, et dû sa survie à quelques individus – parfois des nazis ou des kapos sans scrupule – et à son culot en parvenant notamment à se faire admettre au service du commandant du camp de Melk, Julius Ludolf, dans sa résidence particulière.

La seconde partie aborde la période de l'immédiate après-guerre, retraçant la participation de Josef Lewkowicz à l'arrestation de nazis, particulièrement Amon Göth, ainsi que son engagement dans la réunification des familles juives polonaises. Ce segment est très intéressant dans ce qu'elle révèle des paradoxes de l'époque et des contradictions morales de Josef : sa noble quête de justice et son désir ardent de ne pas se laisser dominer par ses émotions se heurte à l'écueil du ressentiment – il fut débordé par sa colère lors de ses deux confrontations avec Göth – et du devoir – il dû arracher les enfants juifs des bras de leur famille d'accueil non juive pour les remettre à leur parents biologiques. Josef pose un regard lucide sur ses actes et sa collaboration contrainte avec les forces soviétiques en présence – qui n'étaient pas des saints - pour récupérer ces enfants abandonnés. Comme il le dit lui même, il fut contraint de se montrer cruel pour faire le bien. Mais il reste convaincu du bien fondé de cette action, beaucoup de ces gamins et gamines ayant été par ailleurs maltraités par leurs accueillants. Dans ces conditions, qui pourrait le blâmer ?

Enfin, les derniers chapitres retracent sa vie personnelle et professionnelle, à Montréal puis à Jérusalem, où il vit actuellement. Avec toute l'estime que je porte pour cette personne et son parcours, ces pages m'ont moins passionné, apparaissant anecdotiques, même si elles rappellent quelques leçons fondamentales sur le devoir de mémoire et le respect de la Vie. Josef s'épanche également sur la foi en Dieu, qu'il considère être la planche de salut de l'humanité, voyant d'un oeil soucieux les athées et cette société contemporaine qui ne croit en rien de supérieur. Même si le livre nous fait comprendre le rôle fondamental que joua sa foi pour traverser les horreurs dont il a été victime et témoin, j'ai néanmoins eu la déplaisante impression qu'il tentait ici de me convertir à sa religion. Cela a brouillé ma réception de son message.

Je pourrais conclure que le Survivant est un livre nécessaire, mais je n'aime pas ce terme, qui exclut toute forme d'appréciation critique. le témoignage qu'il abrite est de toute évidence important, et il ne doit souffrir d'aucun jugement de notre part. En revanche, j'imaginais Josef Lewkowicz et l'auteur Mike Calvin développer d'avantage la traque des nazis, d'autant que cet aspect de la vie de ce premier est mis en avant sur la première de couverture.
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