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Critique de Henri-l-oiseleur


Zhou Lianggong, un célèbre lettré du XVII°s, raconte cette fable : un vol de palombes avait pour un temps élu domicile dans une certaine forêt. Plus tard, repassant dans la région, les palombes s'aperçurent que la forêt avait pris feu. Elles s'élancèrent aussitôt vers la rivière, y trempèrent leurs ailes et revinrent secouer les gouttes d'eau de leurs plumes au-dessus de l'incendie. Comme elles s'affairaient à ce manège, Dieu leur dit : "Votre intention est certes touchante, mais je crains fort qu'elle ne serve pas à grand-chose." "On s'en doute un peu, répliquèrent les oiseaux. Mais, que voulez-vous, nous avons habité cette forêt et ça nous fend le coeur de la voir ainsi ravagée."

Ainsi commence le recueil d'essais sur la Chine, le quatrième, que publia Simon Leys en 1983. Cet apologue de la forêt en feu et de la fidélité des colombes place l'auteur non parmi les passéistes, les traditionalistes, mais suffit à faire sentir qu'il n'est pas de ces "progressistes" qui se réjouissent de la destruction du monde humain que les générations avaient construit. Ce monde, ici, est celui de la plus ancienne civilisation vivante, comme il l'écrit, celle de la Chine, qu'il commence par évoquer dans un premier chapitre sur la poésie et la peinture, du niveau de François Cheng ou de Jean-François Billeter. Le second étudie les missions chrétiennes en Chine au XIX°s, par la figure haute en couleurs d'un prêtre gascon, le Père Huc, et permet de mesurer à quel point les missionnaires, après les figures lumineuses des Pères Jésuites du XVII°s, ne comprenait plus que la Chine était une civilisation. Mépris fatal dont Simon Leys s'amuse à suivre les traces jusque dans le discours sinologique, "pékinologique", des maoïstes occidentaux qui occupèrent, et occupent encore, les postes clés des médias francophones et anglophones. Les chapitres "Politique " et "Hygiène" analysent la libéralisation du régime communiste après la mort de Mao et l'élimination de sa veuve : l'auteur reste sans illusions sur la capacité d'un régime communiste totalitaire à se réformer lui-même, et fait écho aux méfiances des Chinois eux-mêmes. Il semble que les années qui suivirent lui donnèrent raison. Le chapitre "Hygiène" contient une savoureuse critique de Mme Han Suyin qu'on lira pour se détendre, et d'autres experts maolâtres bien de chez nous. Enfin le lecteur trouvera en annexe des propos du grand écrivain Lu Xun (que je goûte peu) et l'appel de Wei Jingsheng à la démocratie, dont on sait ce qu'il devint.

Les staliniens amateurs affirmaient que l'âme russe s'accommodait mieux que la nôtre de la tyrannie. Les sinologues maoïstes tenaient semblables propos sur la longue habitude chinoise de l'oppression. Simon Leys
fait justice de ces sottises germano-pratines et rappelle, à l'encontre de la pensée totalitaire et identitaire, que les identités ne justifient pas les crimes. Pourquoi, dit-il, ne pas justifier Auschwitz au nom de la manière typiquement allemande, culturellement germanique, de traiter les Juifs ?
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