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Critique de VincentGloeckler


Un gros pavé de plus de 500 pages, un bandeau aux commentaires qui semblent trop racoleurs pour être sincères, l'annonce d'un roman sans doute facile et trop dans l'air du temps pour vraiment nous emporter: le lecteur peut légitimement hésiter à ouvrir Et la forêt brûlera sous nos pas du suédois Jens Liljestrand (Autrement, août 2022)… Et pourtant, s'il se lance finalement dans l'aventure, il n'aura rien à regretter et gardera certainement longtemps le souvenir des émotions fortes et des réflexions complexes que ce texte aura suscités. Captivant dès les premières pages, construit en quatre parties où s'expriment successivement les points de vue d'autant de protagonistes de l'histoire, le récit évoque la naissance et l'extension dévastatrice d'un méga-feu en Dalécarlie, une région de Suède particulièrement touristique au coeur de l'été. Didrik, un universitaire spécialisé sur les questions d'environnement et consultant pour des médias, père de famille de trois enfants, Vilja, Zack et la petite Becka, un tout petit bébé, se trouve obligé de fuir avec sa femme Carola, le chalet où ils séjournent au bord d'un lac, dans la plus grande des précipitations. Tandis que l'Apocalypse se déchaîne autour d'eux, que leur voiture refuse de démarrer, qu'une succession d'incidents entrave leur retour à Stockholm, le couple se déchire, et Zack, puis Vilja disparaissent… Un vent de panique souffle sur la région, les touristes et les habitants, devenus exilés climatiques, se retrouvent piégés dans des camps où règnent le chaos et l'arbitraire d'autorités incapables d'organiser ravitaillement et transports. Une des grandes réussites de Jens Liljestrand est incontestablement d'avoir donné autant de puissance à la peinture de cet arrière-fond de cauchemar, présentant au fil des chapitres l'engrenage terrifiant des conséquences de l'incendie, en conservant à la trame de la catastrophe toute sa plausibilité : flammes dévoratrices, fuite désespérée comme une errance sans fin, embouteillages monstres, déchaînement des violences, manifestations brutales et pillages. Tandis que Didrik et Carola tentent de retrouver leurs enfants, un nouveau personnage apparaît, Mélissa, une influenceuse sur le Web, ancienne maîtresse de Didrik, chez qui il trouve refuge avec son bébé en revenant enfin à Stockholm. La jeune femme, bien éloignée des préoccupations écologiques de son amant, affronte la situation avec un tout autre regard sur les événements. Puis c'est au tour d'André, le fils d'Andrès Hell, un ex-champion de tennis, qui a prêté son appartement dans la capitale à la jeune femme, de vivre les répercussions de l'incendie sur sa propre routine d'enfant gâté, mais méprisé par son père, qui ne voit en lui qu'un « loser ». Enfin, c'est le regard de Vilja, l'adolescente égarée, qui donnera sa version des derniers jours de la catastrophe. Au-delà pourtant de l'habileté narratrice de Jens Liljestrand, le plaisir du lecteur trouve sa source dans la vivacité des discours intérieurs et des dialogues, le ton souvent familier, les multiples allusions à des détails de l'univers de la consommation ou du monde d'internet. On admire le talent avec lequel l'auteur, tout en maintenant la cohérence chronologique des événements, réussit à glisser d'un point de vue à un autre, ouvrant dans le texte un vrai débat sur la conduite à tenir face à la rapidité catastrophique du changement climatique. On rit de la mauvaise conscience de Didrik, des vrais ou faux sentiments de culpabilité des uns et des autres, de l'indifférence, du cynisme ou de l'arrogance de Mélissa ou de la vieille star du tennis. Mais on entendra sans doute encore et encore les mots de l'universitaire déconfit devant ce quai où le train de l'avenir semble ne devoir jamais s'arrêter :
« -C'est tout ce bordel aussi, dis-je avec un geste vers la situation chaotique sur le quai. La vie s'écoule et ce serait différent si l'on pouvait se projeter dans un avenir radieux, se dire que toi et moi on pourrait profiter d'une vie un peu luxueuse après cinquante, soixante ans, mais ça ne se passera pas comme ça, hein ? La vie c'est ça maintenant et ça va aller de mal en pis. Tout. On ne peut qu'espérer mourir avant que ça ne devienne totalement insupportable. Mais la chaleur, l'eau, la nourriture. Qu'on réussisse à faire fonctionner la société quelques années de plus, avant que la prochaine pandémie ne referme tout. Qu'on ne soit pas obligés de manger des insectes. Que les racistes et les fous ne conquièrent pas encore plus de régions du monde. Qu'il y ait du café à boire dans notre maison de retraite. »(pp.112-113)
Alors, on ferme les yeux, on assume son égoïsme, on continue à consommer sans réfléchir aux conséquences désastreuses de notre mode de vie ? On se lève et l'on descend avec Greta Thunberg manifester dans les rues notre colère face à l'inaction des gouvernements ? Ou bien, et ce n'est pas forcément contradictoire, on apprend, comme disent certains, puisque de toutes façons nous n'avons plus le choix, « à couler en beauté » ? Mieux qu'un long discours, s'il n'impose évidemment aucun code de conduite, le roman engagé de Jens Liljestrand nous invite à prendre conscience de la nécessité urgente de choisir notre destin. Et ça se lit comme un thriller !
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