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Critique de Antyryia



Le viol peut-il être légitime ?
Non, bien sûr que non.
Jamais. En aucun cas.
Et si j'ai éprouvé une once de sympathie pour Estelle quand elle est prise de force dans les toilettes d'une station d'autoroute avant que son agresseur ne lui plonge la tête dans la cuvette souillée de déjections, elle n'a pourtant pas duré.
Une odieuse petite voix intérieure me murmurait "Bien fait pour sa gueule".

Juillet noir fut une lecture très contrastée, qui sera difficile à commenter. Amélie de Lima a pris énormément de risques en faisant s'affronter deux personnages exécrables en tête d'affiche.
En apparence nous avons un prédateur prêt à tout pour démolir le quotidien déjà morose d'Estelle, des multiples menaces anonymes à une agression bien réelle. Un cauchemar en 3D.
Sauf que l'abominable Patrick, monstre au sens propre comme au figuré, est aussi la victime d'Estelle, gynécologue dans une clinique sans envergure. A l'instar du docteur Frankenstein et de sa créature, c'est elle qui a involontairement modelé celui qui la traque dix-huit ans plus tard.
On ne sait plus très bien qui est le plus haïssable des deux. Ils sont indissociables. Victimes et bourreaux.
On aurait pu éprouver une forte empathie pour l'un ou pour l'autre, c'est d'ailleurs un peu le cas quand on fait initialement leur connaissance, mais très rapidement seul le dégoût subsiste. Leurs actes, conscients ou inconscients, sont impardonnables.

Inconscients pour Estelle, qui après un mariage raté, un bébé mort-né, ne pourra plus avoir d'enfants. Elle jalouse ses patientes.
"Elle envia ses courbes, sa peau laiteuse et surtout, sa fertilité."
Dépensière, sa modeste profession libérale ne lui suffit pas pour s'accorder de nombreux petits plaisirs. Epouse volage, elle ira jusqu'à piocher dans les maigres économies de son mari.
Pire encore, elle cédera aux sirènes peu scrupuleuses d'un ami qui lui propose de l'argent facile en vendant des cachets sous le manteau.
"Tu gagneras un bon pourcentage sur les ventes."
"-Tu sais, ce médicament n'est pas encore disponible en France, mais ça ne saurait tarder."
C'était en 1960.
Ledit médicament, responsable de graves difformités chez les foetus, ne sera jamais commercialisé en France. En revanche il l'a été en Belgique et il a réellement été distribué dans des départements frontaliers, comme le Nord. Et le roman se déroule sur Lille et ses environs.
Le scandale du thalidomide, censé diminuer les nausées et faciliter le repos chez les femmes enceintes, a bel et bien existé. L'hexagone est globalement passée entre les mailles du filet, le médicament ayant été interdit en 1961 avant sa commercialisation suite au scandale provoqué dans les pays limitrophes : Allemagne, Espagne ou Suisse. Allez-voir sur Wikipedia, c'est édifiant.
Si on a affaire à une histoire très romancée et impitoyable, elle s'appuie sur des faits réels plus démentiels encore.

Le suspense est peu présent : Quelques chapitres suffisent à comprendre les tenants et les aboutissants de cet antagonisme.
La seule interrogation véritable est un peu malsaine, puisqu'on ne peut s'empêcher d'avoir un côté voyeur en nous demandant avec quelle tare est né Patrick. Bras atrophiés ? Doigts surnuméraires ? Absence de jambes ?
"Ce qu'il a... ce que j'ai vu... non... ce n'est pas possible, je ne peux pas l'accepter."
Abandonné par sa mère, abandonné par sa tante, Patrick grandira dans un orphelinat sans avoir la moindre chance d'adoption.
"Les enfants s'en servaient comme souffre-douleur, déchargeant leur haine sur lui."
Il n'avait rien demandé à personne le petit bonhomme, et quand il aura vent de l'irresponsabilité de la Garce, seule façon pour lui de désigner celle qui lui a volé sa vie, coupable de tous les maux et humiliations survenus depuis sa tendre enfance, seul l'accomplissement d'une vengeance à hauteur du mal occasionné lui redonnera le goût d'avancer. Sa vie retrouvera un peu de son sens.
"Une mort imminente serait une issue bien trop douce."

Estelle n'en n'est pas la mère, ni biologique, ni d'adoption, et c'est pourtant bien elle qui va engendrer indirectement cet être froid et calculateur. Sans même le savoir.
Son impardonnable égoïsme et négligence va entraîner une irrémédiable réaction en chaîne aux nombreux dommages collatéraux, dont le viol de juillet 1979 sera l'un des points d'orgue et de bascule dans l'angoisse de ne pas comprendre pourquoi cet homme lui en veut à ce point, Estelle sombre dans la peur et la paranoïa. A sa façon Patrick va lui faire traverser le même enfer que celui qu'il a subi depuis son enfance.
Il n'y a de place que pour le talion, aucune pour le pardon.

Thriller psychologique très sombre, Amélie de Lima n'a vraiment pas choisi la facilité durant la rédaction de juillet noir. Ca a parfois été payant, parfois moins.
Dans la construction elle alterne différemment en fonction des parties les points de vue d'Estelle et de Patrick.
La première est consacrée à la gynécologue, au passé comme au présent, où son mariage raté joue un rôle également prépondérant.
"La différence entre leurs mondes était telle qu'ils n'avaient jamais réussi à créer un pont entre eux."
"Après tant d'années de mariage, elle avait toujours l'impression qu'elle vivait auprès d'un étranger."
Tous s'emboîte immédiatement dès que l'on rencontre Patick à l'orphelinat. Pas besoin d'avoir bac + 7 pour comprendre immédiatement qui est cette garce dont il veut réduire l'existence à néant ni les raisons de son abandon par sa propre famille.
Par la suite les points de vue de l'un et de l'autre alterneront chapitre par chapitre, à ce propos j'ai trouvé cependant la troisième partie maladroite car trop répétitive. Estelle a l'impression de devenir de plus en plus folle, Patrick s'amuse avec sa proie tel un chat avec une souris avant de la croquer. Et leurs versions alternent alors qu'on a déjà en tête toutes les explications nécessaires sans qu'elle n'aient besoin d'être reformulées.

A défaut de réel suspense sur les évènements passés qu'on reconstitue trop facilement, il y a une réelle tension sur le déroulé du courroux de Patrick et de la descente aux enfers d'Estelle. Jusqu'où ira sa vengeance ? A quel point la gynécologue se dégradera-t-elle ?
Un semblant de morale sera-t-elle sauve ? Lequel des deux aura le dernier mot ?
Et malgré des défauts inhérents au sujet difficile choisi et à sa façon d'être abordé, il faut saluer l'originalité du sujet, comme une réécriture du chef d'oeuvre de Mary Shelley sans élément fantastique.
Il n'est pas possible de s'attacher durablement à ces deux êtres monstrueux, qui se complètent autant qu'ils s'opposent.
Mais la difformité physique n'est que l'élément qui relie l'amoralité de l'une à la cruauté de l'autre. Cette complémentarité dans l'abject, cette impossibilité de dissocier ces deux personnes du bourreau et de la victime plus que dans n'importe quel roman lu auparavant donne beaucoup de souffle à un livre qui oblige le lecteur à s'interroger sur les différents degrés du mal.
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