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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par M.R. Carey, dessinés par Peter Gross, encrés par Vince Locke, avec une mise en couleurs réalisée par Cris Peter. Les couvertures originales ont été réalisées par Jessica Dalva. Ce tome contient également les couvertures alternatives réalisées par Jay Anacleto, avec des couleurs d'Ivan Nunes.

Il y a de cela des milliers d'années, peut-être des millions d'années un corps céleste doté de conscience s'écrase sur Terre et se demande comment contenir la Bête. En 1979, en Angleterre, Pete Dealey et son épouse déballent une caisse en bois dans leur salon : elle contient une maison de poupée de plus d'un mètre de haut, avec un niveau de finition exquis, et des personnages à l'intérieur. La maman indique à sa fille qu'elle peut garder cette maison, car c'est un don d'une grand-tante appelée Margaret Moyne. le père n'est pas entièrement d'accord mais accepte malgré tout. En revanche, il y a un chat qui s'est introduit par la porte fenêtre, et il le chasse à coup de balai. Rapidement, la mère et sa fille Alice prennent l'habitude de jouer avec la maison et les poupées. Un jour, Alice y joue toute seule, et elle entend ses parents qui se disputent en bas. le père est en train de tancer son épouse, en lui disant qu'il sait très bien ce qu'il a à faire, qu'il est charpentier de métier, et qu'il ne va accepter de faire le pied de grue à l'entrée d'une usine pour pouvoir déplacer des caisses pendant une heure pour un salaire de misère. En 1826, dans le comté de Wicklow, Joseph Kent effectue son métier d'arpenteur avec son collègue, pour établir la géographie de la côte avec des mesures les plus précises possibles. Avant que la nuit ne tombe, ils décident de monter au sommet d'une colline pour avoir une vue d'ensemble de la baie. le long de la corniche, ils découvrent l'entrée d'une grotte. Kent décide d'aller explorer un peu, alors que son collègue l'attend à l'extérieur.

En 1981, Alice joue toujours toute seule avec sa maison de poupée, et elle voit bien que sa mère est une femme battue. Elle remonte jouer et la petite figurine de Peggy-O s'adresse à elle : elle lui propose de la rejoindre dans la maison de poupée, juste en prononçant une phrase magique. Alice le fait, et elle rapetisse. Elle suit Peggy à l'intérieur de la maison de poupée, et peut discuter avec les autres figurines, elles aussi animées comme de véritables êtres humains miniatures : Daniel, Cordwainer, Elizabeth, James. Elle joue et discute avec eux, prend le goûter avec eux, suit Cordwainer dans son atelier pour y voir une de ses inventions. Pendant ce temps-là, sa mère crache un peu de sang dans le lavabo de l'appartement. En 1826, Joseph poursuit son exploration de la grotte pour le troisième jour consécutif. Il progresse sans difficulté dans un boyau, mais fait une chute sans gravité quand le sol se dérobe sous pas. Il se remet debout dans une immense caverne baignant dans une lumière orange. Devant lui, il voit une gigantesque silhouette en pierre de forme humaine.

Déjà les premiers tomes de ce label de DC Comics étaient très agréables : Basketful of Heads (de Joe Hill & Leomacs), The low, low woods (de Carmen Maria Machado & Dani). Ensuite, Mike (ou M.R. s'il préfère) Carey est le scénariste de séries aussi excellentes que Lucifer (avec Peter Gross, Ryan Kelly, Dean Omrston) ou Hellblazer (175 à 215) ou encore l'incroyable Unwritten (avec Peter Gross). le lecteur sait qu'il s'engage dans une histoire inscrite dans le genre horreur. L'introduction lui permet de comprendre que deux entités sont arrivées sur Terre et qu'elles disposent d'un pouvoir de nuisance considérable, sans en savoir plus. le lecteur fait tout de suite connaissance avec Alice Dealey et ses parents, avec l'apparition de la maison de poupée dès la deuxième page : il n'y a pas tromperie sur ce qu'annonce le titre, et ça ne se fait pas attendre. Arrivé à la septième page, le récit effectue un retour en arrière en 1826, pour le premier contact humain avec les entités de la première page. Tout est en place, avec un fil narratif raconté au présent, et avançant parfois rapidement dans les années, et un autre fil narratif passant d'une époque à une autre pour introduire les autres personnages, certainement liés à ceux de la maison de poupée. le scénariste ne se cache pas derrière une structure alambiquée, et raconte son histoire au premier degré.

Peter Gross est donc un collaborateur régulier de Carey, ayant même coscénarisé plusieurs récits avec lui dont The Highest House. Il réalise souvent un encrage à l'apparence un peu naïve, et il a laissé cette tâche de l'encrage à un autre pour ce récit. Vince Locke apporte des traits d'encrage plus fins, plus secs, préférant de petites hachures aux aplats de noir. Cela confère une apparence un peu usée aux séquences se déroulant dans le passé, et une apparence un peu râpeuse aux événements se déroulant au temps présent. En outre, l'encreur apporte un degré de finition impressionnant en termes de texture, et de précision, donnant plus de consistance à chaque élément, sans pour autant surcharger les cases. Il parvient également à apporter une texture de chair à la maison, avec une réelle conviction, et pas une simple impression d'effet spécial bon marché. L'artiste réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste, avec un bon niveau de détails. le lecteur peut le constater dans la qualité de la reconstitution historique, que ce soient les vêtements, les décorations intérieures, ou l'extérieur des bâtiments.

Régulièrement le lecteur sent qu'il ralentit sa lecture pour apprécier un dessin, un visuel remarquable : les topographes effectuant leur relevé le long de la côte rocheuse, l'accouplement quasi bestial de Joseph Kent dans la grotte, une préadolescente s'automutilant en se coupant la paume de la main, l'éclaté de la maison de poupée permettant de voir chaque pièce, une vieux moine en bure essayant de faire avaler une médaille métallique à Joseph Kent, la texture de la maison de poupée, l'attentat à la ceinture piégée dans le bus, la décoration intérieure de la maison de Cordwainer, etc. Gross & Locke représentent l'horreur visuelle d'une manière qui peut être déconcertante. La représentation des gros monstres s'avère très littérale, trop descriptive pour être vraiment inquiétante, que ce soit la bouche pleine de dents de la maison de poupée qui cherche à avaler une enfant, ou une sorte de démone avec des ailes de cuir et des jambes de bouc : difficile à prendre au premier degré, cela relève plutôt du grand guignol. du coup, les moments visuellement horrifiques sont plutôt inscrits dans la vie quotidienne ordinaire : une mutilation très concrète, une amputation, une consommation d'alcool abusive. Ce sont ces moments qui mettent le lecteur mal à l'aise.

L'horreur visuelle fonctionne d'autant mieux dans le quotidien que le scénariste a l'art et la manière de donner de la consistance aux personnages, de l'épaisseur. Mike Carey ne se lance ni dans une étude de caractère, ni dans une exploration intérieure dont il a le secret, mais ses protagonistes ne se réduisent pas à un unique trait de caractère. Ils sont définis par leur histoire personnelle, à commencer par Alice et ce qui lui arrive dans sa vie. Lorsqu'elle s'empare d'un marteau de charpentier, le lecteur est convaincu qu'elle va s'en servir parce qu'il a pu ressentir ce qu'elle a éprouvé auparavant et ce qui l'a menée là. de même, sa relation avec Jake Wharton ne semble pas artificielle, ni sortir de nulle part. Ainsi le lecteur ressent une vraie empathie pour les personnages principaux et se sent impliqués dans ce qu'il leur arrive, partageant leur état émotionnel. Bien évidemment, la maison de poupée est un personnage à part entière, à part égale avec les personnages qui y habitent. Dans un premier temps, le lecteur peut également être un peu décontenancé par la méthode très littérale par laquelle Alice pénètre dedans : elle rapetisse tout simplement, comme le faisait son célèbre homonyme. Mais cette représentation est en cohérence avec l'apparence de la maison, la démone. D'un autre côté, cette représentation fonctionne bien, et reste dans la logique du reste de la narration visuelle. le scénariste a décidé de ne pas jouer sur le côté ludique de découvrir ce qu'il en est de cette maison, posant ses cartes du la table dès la page d'introduction. Cela n'empêche pas un bon niveau de suspense quant à ce que la maison et la force qui l'anime sont capables de faire, et à la question de savoir si Alice peut s'en sortir. Dans le même temps, le scénario reste sur un chemin bien balisé du fait que l'auteur ne cherche pas à jouer avec les métaphores sur l'enfance, ou la réflexion sur un thème.

Ce tome contient une histoire de bonne facture, réalisée par un solide scénariste, avec des dessins soignés, en phase avec la façon de raconter du scénariste, et un très bon niveau de description. L'horreur nait plus de la vie quotidienne d'Alice et de sa mère, que de la menace surnaturelle de la maison de poupée. le lecteur apprécie une histoire solide et soignée, tout en ayant espéré un peu plus de la part d'un duo d'auteurs de la trempe de Carey & Gross.
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