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Critique de Shaynning


Incontournable Janvier 2022


Version courte:


Un roman touchant, addictif et pertinent sur un jeune homme ayant développé un trouble de la personnalité limite ( ou "Bordeline") qui met en lumière l'histoire d'un des personnages de la série française "Mental", Simon Bellem. Une forme partiellement éclaté, une alternance de narrateur, un large spectre d'enjeux liés à la santé mentale, ce roman à le mérite de faire au lecteur de que le trouble fait à Simon: Il déstabilise.


Version exhaustive ( Parce que les bons romans méritent qu'on s'y attarde):


Il s'agit de mon premier roman issu d'une série télévisée. Il se déroule à l'origine de l'un des personnages principaux de la série du même nom, "Mental", série française qui livre le quotidien d'adolescents dans un centre pédopsychiatrique français ( Que je vous invite à voir, d'ailleurs, c'est touchant, pertinent et même comique). Je précise que je connaissais pas la série avant ma lecture, je l'aurai écouté par la suite. Il est donc possible que Simon vous perturbe, mais je vous expliquerai pourquoi. L'un des auteurs de la série s'est penché sur le cas du personnage de Simon Bellem, alors que sa co-autrice a élaboré le roman du personnage de Mélodie. J'avais des doutes avant ma lecture, parce que généralement les romans issus de série sont malheureusement fréquemment mal écrits, mais j'ai été agréablement surprise par l'écriture de Victor Lockwood, capable de manoeuvrer aussi bien l'action, la forme et la psychologie.


Simon Bellem a 16 ans et à bien des égards, correspond au jeune homme standard: notes convenables, vêtements classiques, une petite amie violoncelliste qui est également sa meilleure amie, des parents en moyens, etc. Pourtant, derrière cette famille modèle, on observe un père très ambitieux pour son fils, dont une certaine part est même toxique avec des idées machistes. Surtout, Simon a du mal à sentir une réelle proximité filiale et se demande souvent pourquoi il ne ressemble pas davantage à ses parents. Lorsqu'il découvre que ceux-ci lui ont caché une première grossesse qui s'est soldée en enfant mort-né, suivit de son adoption, sa vie se fissure. Deux personnes arrivent dans sa vie au même moment: Agathe Dugal, sa prof de français, qui voit en lui un potentiel pour les Lettres et les Arts, au delà de cette facade qu'il affiche aux autres, et Sasha Dugal, dont il ignorait d'abord la filiation, surveillant dans son école, au tempérament libertin et insouciant, qui devient son professeur privé pour apprendre le russe. Deux personnages, qui pour des raisons différentes, vont précipiter Simon vers un trouble de personnalité dont il avait déjà plusieurs traits et mener, ultimement, à son admission au Centre des Primevères, centre pédopsychiatrique.


Un trouble de la personnalité, tout types confondus, ne ne développent pas en quelques jours, et sont souvent construits progressivement depuis l'enfance. Dans les divers causes, deux des plus récurrentes sont les problèmes affectifs ( Attachement, par exemple) et la construction de l'estime de soi. C'est pourquoi plusieurs troubles , dont celui de Simon, dit "Borderline", impliquent la recherche d'attention et d'affection. On le voit bien dès le début, Simon cultive beaucoup de doutes quand à l'amour qu'on peut lui porter et cela va aller en s'amplifiant. le fait qu'on lui ait menti marque un gros tournant et l'a plongé dans une suite de plus en plus intense d'états d'esprit, balançant entre des sentiments de plénitude amoureuse romantique et passionnel, et un désespoir teinté de paranoïa et de sabotage affectif. Vulgairement, le trouble de personnalité limite ou Borderline est "tout-Blanc-tout-Noir", il fait naviguer entre deux états extrêmes. C'est ce qu'on voit dans le roman et ces deux extrêmes tendent à s'éloigner l'un de l'autre de plus en plus. Ils prennent en intensité au point de devenir carrément dangereux pour le jeune homme, comme pour ses proches.


C'est aussi profondément malheureux de voir un jeune avec pleins de belles forces devenir la victime de ses propres émotions, si vives et si torturées que ça en affecte finalement sa perception même de la réalité, prêtant des pensées aux autres, accordant la réalité à ce qui lui semble le plus en accord avec son état émotionnel du moment. Ce qui m'a semblé profondément triste est le moment où Simon a réalisé qu'il était physiquement très plaisant pour le commun des mortels et dès lors, sur le modèle de Sasha, s'est servi de son corps comme d'un outil pour aller chercher toujours plus de réconfort et d'attention. C'est quand sa vie sexuelle est devenue si intense ( on parle de nouveaux partenaires " de jeu" chaque jours) que les extrêmes ont commencés à poindre: d'un côté, son idéal amoureux de plus en plus idéalisé, de l'autre, une accélération marqué de ses comportements à risques ( Pas seulement sa vie sexuelle très intense, mais aussi les substances illicites, ses actions risquées, ses répliques acerbes, ses provocations, ses manipulations, etc). En fait, entre le Simon du début du roman et celui de la fin, le fossé est énorme. Et malheureusement, une grande part de ce qu'il craignait le plus et anticipait, c'est-à-dire finir seul et rejeté, est la résultante directe de ses propres actions. Et bien sur, malgré ce qu'il en dit, sa souffrance, elle, est bien réelle.


Mais si Simon, avec son âme à vif éternellement et la proie de montagnes russes émotionnels, n'est pas le seul personnage tourmenté et cela à peut-être précipité les choses, en y regardant de plus près.


Il y a également à faire du côté de Sasha, un personnage tout aussi charismatique il faut dire. Il semblait, au début, l'atypique de service, appartenant à la fois à tout le monde ,mais à personne, avec une vie sexuelle très active et très impersonnelle, pour ne surtout pas risquer de s'attacher ( on le comprendra plus tard) et à vivre au gré de ses envies. Sasha a fait forte impression sur Simon, par sa façon d'aborder la vie avec un grain de sel. Son côté pansexuel aussi a fasciné Simon, je crois. Peut-être parce que Simon aussi avait cette orientation - mais c'est difficile à dire, parce que si on le voit se tourner très fréquemment du côté des hommes pour la "baise", il est amoureux seulement des femmes. du coup je me demande si son attirance pour les hommes n'est pas juste une autre façon d'aller chercher de l'affection édulcorée et une attention éphémère.


Sasha, donc. Bien qu'il entretient un discours libertin et cultive un refus d'avoir quelque attache relationnelle approfondie que ce soit - hormis sa mère - Sasha semble se cacher derrière un épais vernis de déni et de cynisme. Peut-être, au regard de l'abandon de son père, est-ce du à un profond trouble de l'attachement ou un attachement affectif insécure, comme Simon. Quoi qu'il en soit, j'ai senti que la vulnérabilité de l'un à trouver écho chez l'autre. Mais malheureusement pour Sasha, qui a finalement trouvé plus dans sa relation avec le jeune homme qui se croit désormais émancipé et mature, c'est la désillusion la plus totale. Simon, d'une certaine manière et sans le vouloir sincèrement, brise tout ce qu'il touche.


Pour ce qui est d'Agathe, c'est en apparence simple: elle a vu ses forces et l'a même encouragé. Simon a basculé vers un amour qu'il croyait indubitablement réciproque, alimenté par ses lectures romantiques et une certaine forme d'idolâtrie. Au final, son "plan" a fait l'effet inverse: il l'a carrément terrorisée.


On notera la présence de masculinité toxique dans le rapport père-fils - quoique la maman, en n'intervenant pas, ne vaut guère mieux sur le sujet. Monsieur Bellem avait beaucoup trop d'attentes pour Simon, c'est une chose, mais d'aller au point de l'empêcher de porter certains vêtements qu'il jugeait "inadéquats" ( comme la veste que porte Simon sur la couverture, justement) , de chercher à en faire un sportif, un "gagnant" , un "vrai homme", c'est de brimer la personnalité de son enfant, ni plus ni moins. C'est sans compter les problèmes de confiance et d'estime de soi que ce genre de pattern peut causer. le sujet est sur la table dans la littérature jeunesse et ce roman y prend part, surtout dans les premiers chapitres. On a pas à chercher loin pour être désolé pour Simon, on a qu'à regarder à quel point il ne peut pas être lui-même dans sa propre famille, comme dans sa propre tête.


On aura aussi une dimension plus "philosophique"- Simon en est friand!- : être artiste, une façon d'être génial ou un trait de folie? La ligne semble si mince entre les deux. Les deux ensemble peut-être? Quel a été la vie de certains grands artistes et auteurs? Comment étaient-ils perçus? Considérés comme des innovateurs, des pionniers et des originaux, certains ont pourtant connu la déchéance, l'internement et même le rejet social. Pour Simon, semble-il, il n'y a pas du nuances: soit on vit pleinement sa différence même si on est perçu fous, soit on vit bâillonnés à jamais, en se condamnant à mort ( symboliquement) soi-même du même coup. Tout blanc ou tout noir. Pas de compromis. Pas de nuances.


On touche donc beaucoup de sujets avec ce court pan de l'histoire de Simon, qui se situe entre le Noël de ses 16 ans et son 17e anniversaire en avril. 4 mois et c'est la dérape. Bref. On navigue sur plusieurs enjeux familiaux, les relations interpersonnelles, le rapport à soi, les attentes parentales et sociétaire, le conformiste et son contraire, la sexualité, l'adolescence, les besoins affectifs et de reconnaissance, les relations amoureuses, le désir de s'émanciper, la santé mentale, etc.


Côté forme, on a aussi une structure "désorganisé" et atypique, un peu à l'instar du personnage. Certains passages sont chronologiques, fluides, factuels mêmes, écrits au "il". Et d'autres sont truffés d'images floues, de références, de métaphores, de séquences déconstruites et pas forcément chronologiques, d'appels aux lecteurs [ Non, mais tu suis un peu?!] et c'est Simon qui se raconte, au "je". C'est d'autant plus crédible que Simon écrit réellement. J'ai aimé cette versatilité, tout-à-fait de circonstance vu le trouble en présence, lui aussi très versatile.


D'ailleurs, au début, avec son côté très "show-off" et dramatique, je me suis même demandé s'il n'était pas plutôt TPH ( Trouble de la personnalité histrionique, la "personnalité Personnages-à-milles-visages"). le diagnostic de TPL arrive d'ailleurs à la toute fin, on ne saura donc pas tout du long avec quoi Simon compose, d'où mon questionnement. Ce peut être une façon intéressante de construire le récit: à moins de connaître un peu l'univers de la santé mentale, on suit Simon comme lui le vit: sans savoir. On n'a donc pas le réflexe de se dire: bah oui, c'est normal de se comporter ainsi quand on a un trouble, on l'ignore jusqu'à la fin. Oui, bon, à moins de connaitre la série, on s'entend.


Petit détail à l'intention des francophones nord-américains ou hors-France: il y a plusieurs termes "de jeunes" issus de la France et qui peuvent porter à confusion - ou ne rien vous évoquer, surtout à l'oral, dans les dialogues. Notamment "pécho"...mais vous allez finir par deviner pour celui-là, vu ce qu'il signifie.

J'ai apprécié tout le volet LGBTQIA+, notament quand Sasha explique sa vision de sa sexualité et de son orientation bisexuelle ( ou pansexuelle), ainsi que le passage où Simon apprend les lettres du LGBTQIA+.


Pour conclure cette longue critique - que voulez-vous, les bons livres méritent qu'on s'y attarde - j'ai été agréablement surprise par ce roman. Il y a encore peu de romans jeunesse sur les troubles de la personnalité, comme de la santé mentale en général, même si j'observe une augmentation de la présence de la "dépression" comme sujet. Je suis d'autant plus surprise par l'élaboration de l'histoire autours d'un trouble complexe comme le TPL, avec ses nombreuses subtilités et singularités, qui couvre bien plusieurs dimensions, pas seulement affectives, mais aussi sociales et identitaires.


Enfin, on a pas de mal à vivre l'ambivalence du personnage, elle est bien présente et Simon passe souvent du "salaud" à la "victime". C'est déstabilisant, on ne sait pas sur quel pied dancer avec lui, mais en même tant, le TPL est très déstabilisant, même au sein des autres troubles de la personnalité, et pas seulement pour celui ou celle qui compose avec, mais aussi pour les gens autours.


Un roman très intéressant, émotionnellement engageant et qui donne envie de s'intéresser à la série, qui traite de plusieurs jeunes vivant avec divers conditions de santé mentale. Un sujet tout à fait à propos et encore peu traité dans les romans, comme dans les séries.


À voir!


Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans+.


Pour les bibliothécaires et professeurs: La seconde partie du roman contient beaucoup de sexualité, mais si on a quelques fois des détails , surtout sur la "première fois" de Simon avec Sasha, le reste est survolé sur les détails physiques, on s'attarde plus sur les composantes autours: avec qui, combien de fois, dans quelle ambiance et le ressenti. Donc, oui, c'est la débauche, oui il y a des termes crus, mais non, on ne tombe pas dans la porno ( Littérature Jeunesse, tout-de-même!). Et cette hypersexualité a aussi sa pertinence dans le contexte.



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