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Critique de SPDChat


Dans un village de Picardie non loin d'Abbeville, Eddy Bellegueule entre en sixième. Différent, perçu par les autres comme efféminé, il va endurer les insultes, les crachats et les coups de deux collégiens à peine plus âgés que lui. Dans ce milieu pauvre, où les mécanismes de reproduction sociale sont à l'oeuvre même dans les erreurs de parcours que l'on croit individuelles, la violence est partout : dans l'alcoolisme, la domination des hommes sur les femmes, le racisme, l'homophobie, mais aussi dans le langage souvent cru et grossier. Après avoir en vain tenté de devenir ce que son milieu attendait de lui, à savoir "un dur", Eddy Bellegueule va opter pour la fuite…

En finir avec Eddy Bellegueule est un livre très impressionnant. Édouard Louis dit avoir commencé à l'écrire à 19 ans. Qu'il ait pu à cet âge prendre autant de recul sur son enfance force l'admiration. Depuis la sortie du livre, des journalistes se sont rendus dans le village d'enfance d'Édouard Louis et ont interrogé sa famille. Comme si l'on pouvait mieux saisir la Vérité par un rapide reportage que par ce travail tellement plus subtil d'Édouard Louis, qui radiographie un milieu social de l'intérieur en restituant son langage et ses valeurs profondes. Ce n'est pas du tout un livre à charge contre sa famille. Avoir choisi la forme du roman a permis à Édouard Louis de faire exister ses personnages dans toute leur complexité : la mère a honte des manières de son fils mais elle est fière à l'idée qu'il puisse faire des études, le père est extrêmement raciste mais ami avec un maghrébin, les parents semblent aveugles au processus de reproduction sociale mais le père s'abîme les poings à cogner les murs de sa maison pour ne pas exercer sa violence sur sa famille comme le faisait son propre père, les amis et les cousins traitent Eddy Bellegueule de pédé mais expérimentent la sexualité entre garçons, et les deux brutes du collège qui persécutent cet enfant différent finissent par l'acclamer quand il se produit sur une scène de théâtre. Il faut être bien naïf pour croire qu'une vérité plus grande émergera de l'interview de ceux qui n'ont sans doute pas les moyens d'analyser leur situation. Il faut être aussi totalement étranger à la littérature pour ne pas croire en la vérité supérieure du roman.

En finir avec Eddy Bellegueule est surtout un livre sur la domination sociale et les processus implacables de la reproduction sociale. C'est un livre qui dérange, qui ne fait pas plaisir, parce qu'on aimerait pouvoir faire d'Édouard Louis un contre-exemple, un exemple de l'ascension sociale rendue possible par l'école, une intelligence au-dessus de la moyenne ou une volonté plus grande d'en sortir. Mais ce n'est pas ce que montre Édouard Louis. Il montre plutôt, comme Didier Eribon l'avait fait avant lui, que sa différence, sa non conformité aux valeurs de son milieu a été sa chance. C'est l'exclusion dont il a été l'objet qui a permis sa fuite.

Ce premier roman d'Édouard Louis rend très curieux de ce que va être sa vie. Va-t-il choisir les sciences sociales ou la littérature ? La recherche, l'écriture ou l'action politique ? Il me semble que la fuite se réaliserait mieux dans la littérature. A suivre…

Lien : http://sansparlerduchat.word..
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