AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


Erik35
05 décembre 2017
POUR QUELQUES (200 000) EUROS DE TROP...

Plus déjantés et anti-système que jamais, nos délicieux... hum, pardon, nos insupportables mais si attachants grands-pères. N'empêche... Recevoir par simple colis postal tout à la fois une somme énorme et une nouvelle bouleversante, tout Pierrot que l'on soit, ça peut réellement ficher en l'air les dernières belles années avant le casse-pipe. Ça peut même pousser à aller bouffer les pissenlits par la racine après un ultime saut de la mort !

Rassurez-vous, il y a toujours un vieux copain qui veille au grain et qui vous rattrape par le colback pile au bon moment. Mais, n'empêche, ça mérite quelques explications et celles-ci tiennent en un nom : Bonny ! Ah non, je vous vois venir : pas la Bonny Parker du célèbre et tragique couple d'anarchistes américains, Bonny & Clyde, si éloquemment chanté par Serge Gainsbourg, non ! La Ann Bonny bien antérieure, mais d'un sacré caractère, compagne de Mary Read, toutes deux pirates parfaitement réelles qui ont écumé les côtes américaines au milieu du XVIIIème siècle. Sous ce pseudonyme se cacherait une femme que Pierrot a profondément aimé, Anita, - la seule, comprend-on - et qu'il aurait perdu de vue puis décédée après la répression sanglante des manifestations anti OAS de 1962, sa compagne étant d'origine algérienne, elle fut expulsée de France.

Bien évidemment, par le biais de cette histoire reliant le passé trouble des années 50 et 60 à notre présent, du moins, à celui de nos "Vieux Fourneaux", on en découvre un peu plus sur la vie tumultueuse de militant anarchiste de cet éternel jeune homme. Mais Wilfrid Lupano et Paul Cauuet saisissent aussi l'instant pour nous présenter une galerie de personnages, jeunes et moins jeunes - pour certains, vraiment plus jeunes du tout ! -, vivant plus ou moins à la marge, en raison de leur âge et de la place qui est laissée à nos vieux dans notre société d'hyper-actifs (pourvu qu'on ait un emploi), en raison de leur origine comme cette famille Konafi, expulsée d'un squat sur décision d'Hortefeux puis recueillie dans l'immeuble particulier de cette vieille très argentée mais totalement et magnifiquement anar', ou encore en raison du manque d'argent comme ces étudiants, ou bien par conviction politique. Tout ce beau petit monde gentiment cinglé vit donc dans "l'île de la Tordue", chez cette Francine de la Rochebonnefoy, dite Fanfan, 91 ans «et la colonne vertébrale torsadée comme un cep de vigne»... Ce qui ne l'empêche pas de prendre des cours d'informatique pour devenir hacker !!!
On croisera aussi Jean-Childéric, dit "Jean-Chi", véritable arme de destruction massive (et olfactive) que l'on retrouvera en pleine action à l'occasion d'un repas VIP organisé en soutien d'un certain Jean-François Copé...

Ces vieux-là ont, il faut bien le reconnaître, un sacré grain de folie. Mais d'une folie réjouissante, d'une folie grandeur humaine, d'une folie inventive et nécessaire en ces temps de post-moderniste grisâtre, tristement réactionnaires, empêtrés dans une fin de règne qui ne veut pas dire son nom. Ces vieux-là ne courent pas après une jeunesse perdue : cette jeunesse, ils l'ont encore dans les tripes, dans les veines et dans le coeur à défaut de l'avoir dans les guibolles. Alors, sans cesse, ils inventent et se réinvente un monde qui semble ne plus vraiment vouloir d'eux. Ils mettent le doigt sur nos petites faiblesses et nos grandes lâchetés, ils vilipendent à leur manière nos modes idiotes et nos fausses vertus - comme pour ces baguettes de pain supposément "traditionnelles" ou "à l'ancienne" aux noms aussi saugrenus qu'imprononçables (sans en rire) et pourtant fruit absolu de la finance, de la recherche agro-alimentaire et de la communication. Ce sera une espèce de fil rouge à cette histoire.

Et puis, sans avoir l'air de rien en dire, ils - par le biais du plus improbable des trois compères, Mimile, l'ancien pilier de rugby - nous adressent une petite leçon d'écologie vraie, d'écologie pratique en nous contant l'histoire de cette petite île du fin fond du Pacifique qui, par l'entremise de Mammon et du Dieu Commerce, fut un temps l'endroit le second endroit le plus riche de la planète avant que d'en devenir l'un des plus pauvres, non sans y avoir détruit, au passage, tout un équilibre naturel ancien, une culture, une population, une véritable planète en réduction.

Entre humour et désenchantement, espoir et sidération, chaises roulantes et "attentats gériatriques", ces trois anciens - ainsi que Sophie, la petite fille d'Antoine, une jeune femme bien dans sa tête et qui ne s'en laisse pas compter... mais qui sera à l'origine bien involontaire du drame de Pierrot - en font mener des vertes et des pas mûres à notre société si bien ripolinée, si propre sur elle, si... emmerdante à force de civilité froide et déshumanisée ! Ce second album des Vieux Fourneaux est une petite merveille dans son genre et si on ne l'avait pas vu de visu, jamais on aurait pu croire qu'une bande-dessinée racontant l'histoire de trois retraités modestes auraient à ce point pu faire rire tout en nous posant des tas de bonnes questions ! Une merveille qu'on vous dit !
Commenter  J’apprécie          485



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}