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Critique de Presence


Kabuki est toujours enfermée dans l'institution pour agent secret ayant pété les plombs. La première séquence commence sur une séquence de psychanalyse entre elle et une analyste. Dans le premier épisode de ce tome qui en compte neuf, Kabuki retrace pour le bénéfice de son analyste l'histoire de sa mère (membre de l'ethnie des Aïnous, une population aborigène du Japon) et les événements qui ont conduit à sa défiguration (Kabuki porte des cicatrices qui trace son nom en kanji sur la partie droite de son visage). La séance se termine avec un test de Rorsach assez éprouvant. À la fin de cette entrée en matière, les 7 autres assassins du Noh sont aux portes de cette institution et Akemi (une autre détenue adepte de l'origami) reprend contact avec Kabuki. Ce tome raconte les différentes séances entre Kabuki et son analyste, les tentatives d'évasion de Kabuki et d'Akemi, les tentatives de meurtres des autres agents du Noh, jusqu'à une résolution satisfaisante.

Le début de ce tome déconcerte et rassure. Il déconcerte parce que le lecteur avait l'impression que David Mack avait tout dit sur l'introspection de Kabuki dans le tome précédent. Il rassure parce que l'auteur prend le temps de revenir sur des informations déjà présentes dans les tomes précédents, tout en les développant, ce qui aide grandement à se remettre dans le bain de cette série complexe. Puis il apparaît que la psychanalyse de Kabuki a pour objet de donner d'autres points de vue sur la psyché du personnage, des points de vue extérieurs, mais aussi une approche de son mode de pensée en observant ses réactions. L'identité est au coeur de cette histoire. Kabuki a été entraînée à être un assassin parfait ; son génie lui a permis d'atteindre l'excellence en la matière.

Ce récit déconcerte parce que les illustrations sont incompréhensibles à elles seules, et les textes ne font pas sens lu indépendamment. Seule la combinaison des 2 forme une histoire sensée. Ce récit rassure parce David Mack continue de creuser les mêmes interrogations, mais de plus en plus loin. Chaque séance repose sur un double jeu du chat et de la souris. L'analyste essaye de cerner la personnalité de Kabuki en la décomposant en unités simples, et en analysant chacune, avant de terminer par une synthèse. de son coté, Kabuki distille les informations qu'elle souhaite par des modes de communications plus ou moins complexes, jusqu'à ce que les drogues annihilent sa volonté. Au cours de ces interrogatoires, David Mack en profite pour aborder des thèmes qui lui sont chers : les limitations de la perception de la réalité par nos 5 sens (par le biais d'une comparaison avec la description de la matière dans une approche quantique pertinente et édifiante), le pouvoir créatif de l'origami, la notion de pensées positives, la notion de création rapportée au divin, etc. À l'issue de ces interrogatoires, le lecteur peut constater que l'analyste est finalement limitée par sa capacité intellectuelle à comprendre une personne plus intelligente qu'elle.

Les illustrations sont à l'aune de l'ambition et de la diversité des propos de l'auteur. En feuilletant rapidement le tome, le lecteur est frappé par la diversité des styles, les compositions qui couvrent toute l'étendue de la gamme entre la lumineuse simplicité et la sophistication complexe, entre des dessins naïfs d'enfant de 4 ans et des compositions de maître du pinceau. Cette diversité peut avoir 2 effets : provoquer un recul définitif du lecteur potentiel devant un tel assemblage, ou aiguiser sa curiosité devant une oeuvre qui sort autant de l'ordinaire. Je fais partie de la deuxième catégorie. David Mack n'accole pas au hasard les styles les plus hétéroclites, il choisit chaque graphisme en fonction du thème de la séquence. Au-delà des apparences, il utilise également les illustrations pour créer des symboles récurrents. de la même manière que le smiley tâché de sang prenait plusieurs formes dans Watchmen, Mack choisit plusieurs éléments graphiques pour créer des résonnances entre différentes séquences. Pour prendre un exemple, Kabuki se souvient de sa mère dans une posture qui laisse à penser qu'elle réalise l'ombre chinoise de l'envol d'un oiseau qui est figuré juste au dessus. Or ce motif de l'oiseau en vol revient dans d'autres séquences ce qui provoque une association d'idées visuelle entre les événements décrits dans chacune de ces séquences. À l'évidence, cette densité exige une grande attention de la part du lecteur et une bonne concentration.

En contrepartie, David Mack offre une expérience de lecture aussi originale qu'inoubliable. Pour preuve, le combat qui oppose Kabuki aux gros bras de l'institution donne lieu à une mise en images d'une inventivité incroyable, pour un résultat que vous n'avez jamais vu ailleurs quel que soit le nombre de comics que vous avez déjà pu lire.

Cette lecture n'est pas à recommander à tout le monde du fait de son coté intellectuel et un peu élitiste. Si cet aspect ne vous fait pas peur, le récit est à la hauteur de ses ambitions. Pour ma part, j'en suis ressorti avec cette nouvelle version du mythe de la caverne d'une clarté imparable, le constat des limites de la psychanalyse utilisée comme outil de manipulation, l'intangibilité de ce qui fait un individu, les mécanismes qui remettent en cause la nature d'un individu, etc.

POUR S'Y RETROUVER

Les tomes de Kabuki se lisent dans l'ordre suivant : (1) Circle of Blood, (2) Dreams, (3) Mask of the Noh, (4) Skin Deep, (5) Metamorphosis, (6) Scarab - Lost in Translation (7) et The Alchemy.
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