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Critique de Woland


ISBN : 9782702416570

Le domaine de Magnan, c'est le terroir policier du sud-ouest de la France, où traînasse avec nonchalance l'inspecteur Laviolette, bon vivant un peu bourru à l'esprit très fin, qui apprécie pêle-mêle la brume des paysages, les bons petits restaurants du coin et les casse-têtes que l'on met longtemps à résoudre. Il aime aussi les assassins qui ont de l'idée et de la personnalité - ce qui ne court pas toujours les rues et contraint donc son créateur à faire des efforts réguliers pour se maintenir au niveau auquel il nous a habitués avec "Le Sang des Atrides." Jamais bien loin derrière, le juge Chabrand, beaucoup plus jeune que Laviolette et célibataire à bonnes fortunes, qui offre une ressemblance frappante avec Maximilien Robespierre à condition, toutefois, de conserver soigneusement ses lunettes en équilibre sur son nez pointu. Chabrand, bien que magistrat (et un magistrat intègre, qui n'abandonne pas ses pistes au premier découragement ), est "anti-système" à mort (ou presque), mijote et remijote le second tome de l'oeuvre de sa vie dans laquelle il réfute Marx à l'abri de la vision maoïste (à moins que ce ne soit le contraire ) et fait montre d'un jacobinisme authentique qui l'eût fait siéger sans grand problèmes à la Convention auprès de son illustre et implacable modèle.

Si "Le Sang des Atrides" se situait à Digne, nous nous retrouvons ici à Manosque où, pour ne pas nous faire perdre nos bonne habitudes, il pleut des tonnes d'averses, tout cela au milieu des brouillards qui s'élèvent au plus mauvais moment sans vous avoir consulté et des orages qui se déchaînent à la moindre provocation. le paysage est essentiellement rural et tout commence d'ailleurs dans un champ où le très vindicatif Paterne Lafaurie, avec ses 22 de tension, son mégot perpétuel au bec et sa mauvaise humeur chronique, a décidé de sulfater ce jours-là ses pommiers. Par acquit non pas de conscience mais parce que, s'ils ne le faisaient pas, cela leur retomberait vite sur le nez, les fabricants du pesticide qu'il utilise engagent leurs clients à enfiler pour ce faire une combinaison qui rappelle un scaphandre et, bien sûr, un masque-protecteur allant de pair. Ils précisent aussi qu'il ne faut pas sulfater contre le vent - mais qui aurait cette idée suicidaire, surtout avec 22 de tension et tout un tas de petits maux du même genre ? - et que, de façon générale, il faut rester très prudent quand on se livre à cette besogne.

Animé par un goût pratiquement congénital pour ne pas suivre les conseils d'autrui, surtout quand ils sont tout à fait légitimes, Paterne, ce jour-là, sulfate consciencieusement contre le vent, mégot à la bouche, le regard furibard, la bouche animée d'un rictus amer ... et sans aucun masque, cela va de soi . le pré est vaste mais arrive le moment où il aperçoit sa fille, Léone, en train de bavarder avec le fils d'un agriculteur concurrent qui, de surcroît, se permet de prôner les produits "bio." de plus en plus en colère, le Paterne stoppe son tracteur (il me semble que c'est un tracteur ) et, ni une, ni deux, saute de l'engin pour aller dire leur fait aux deux jeunes gens (et aussi pour les rosser, si besoin est : ça lui fera une petite détente bien méritée .) Evidemment, le jeune couple ne l'attend pas niaisement pour prendre sa volée de bois vert et détale au plus vite. Paterne, qui ne peut plus courir aussi vite, revient alors vers son tracteur : de toutes façons, il les aura.

Et c'est là qu'apparaît pour la première fois la silhouette d'un télégraphiste (nous sommes encore dans les années quatre-ving-dix), en casque intégral rouge étoilé d'or, avec une petite sacoche à la ceinture. Apparemment, il s'est approché du tracteur mais, voyant revenir le propriétaire, lui aussi s'enfuit et dame, comme il est à cyclomoteur ou en trial (Paterne ne voit pas trop bien, nous non plus par conséquent), a vite fait de se fondre dans le paysage.

Si Paterne Lafaurie a de bien trop nombreux défauts - sa femme, la ravissante Fabienne, pourrait vous en raconter là-dessus au minimum toute une Bible - on ne saurait le traiter de paresseux. La journée, décidément, s'avère vouloir le contrarier tant et plus mais tant pis : il remonte dans son tracteur, toujours sans masque, et poursuit son sulfatage en ruminant le traitement qu'il finira bien par infliger à Léone et à son Roméo : ah ! ça va chauffer ...

En fait, c'est le moteur du tracteur qui se met à chauffer tandis que la machine commence à accomplir des huit étranges dans le champ. La sueur perle au front de Paterne qui se sent soudain très mal - bien pire qu'avec un simple 22 de tension - et quand le tracteur s'en vient buter contre le mur du poussier où se sont réfugiés Léone et son complice, ceux-ci découvrent l'irascible agriculteur plus raide qu'un passe-lacet, les mains crispées sur le volant et le regard fixe à tout jamais, le tout dans une incroyable odeur d'amandiers en fleurs. La dernière pensée de Paterne, nous le savons, fut d'ailleurs pour le gâteau à la frangipane qu'il mangeait à la table familiale dans son enfance ...

L'autopsie révèle l'empoisonnement non au pesticide mais à l'acide cyanhydrique, produit qui n'est pas prévu dans le produit sulfaté et qui n'a mis que quelques secondes à envoyer Paterne à jamais au tapis. Là-dessus, on apprend que le Président de l'Association des Chasseurs de la ville, faisant sa tournée des nuisibles (renards et blaireaux) pour la saison, s'est fait dérober, quatre jours plus tôt, une boîte de vingt-cinq ampoules d'acide cyanhydrique.

Vingt-cinq dont sept, apparemment, ont achevé leur fulgurant parcours dans le moteur du tracteur de Paterne ...

Evidemment, sage lecteur, vous l'avez immédiatement saisi avec votre subtilité habituelle : ce crime, puisqu'il s'agit bien d'un crime, ne sera pas le dernier. Ce que vous aurez bien plus de mal à deviner, c'est le mobile des assassinats. Autour de vous, quelques notables font la ronde, tous amis d'enfance de Paterne. Leurs épouses dansent aussi mais, selon toute évidence, la Mort ne s'en prend qu'aux hommes. Au beau milieu de tout cela, des personnalités comme seul Magnan en avait le secret font leur apparition : de la vieille tireuse de cartes Hermerance (nonante-cinq tout de même), qui voit dans ses lames aller et venir une curieuse dame de coeur, baguenaudant d'un jeu à l'autre, jusqu'à Sidoine Hélios, la gloire de la région, sculpteur mondialement reconnu qui, depuis un mois à peu près, travaille à ce qu'il nomme lui-même son chef-d'oeuvre, pour l'instant encore bien à l'abri dans son moule avant la fonte du bronze en fusion qui le rendra immortel.

Mais quel rapport peut-il bien diable exister entre la façon bien particulière qu'avait Paterne Lafaurie de sulfater et l'érection, fût-elle gigantesque, d'un groupe de statues destiné à perpétuer à jamais la mémoire d'Hélios ?

Vous le saurez en lisant - ou relisant - ce livre qui compte parmi les meilleurs de Pierre Magnan et je ne doute pas que la découverte de la solution ne vous laisse aux lèvres un singulier goût d'amertume - comme une sorte d'acide prussique virtuelle, en quelque sorte. Avec un peu d'imagination, vous verrez, c'est très facile mais rassurez-vous : vous en réchapperez et pourrez, si son univers vous plaît, vous replonger par la suite dans un autre roman de Magnan. Bonne lecture ! ;o)
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