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Critique de Bookycooky


"À Chypre les prémices de l'invasion se préparaient. le 15 juillet 1974 un coup d'État mené par des membres de l'EOKA, organisation ultra-nationaliste soutenue par la junte au pouvoir à Athènes et partisane de l'enosis – le rattachement de l'île à la Grèce –, renversa l'ethnarque et archevêque Makarios, le président de Chypre. On donnait Mgr Makarios pour mort....Un épouvantail de l'EOKA, Níkos Sampson, « tueur de Turcs » ainsi qu'il se nommait lui-même, fut porté au pouvoir. Il n'y tint guère. Dès lors les événements se mirent en marche, mécaniquement. Aux termes du traité d'indépendance, la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni étaient censés être, depuis 1960, garants du respect de la Constitution de la jeune et ingouvernable République chypriote. La Turquie, une des puissances « garantes », intervint après le coup d'État du 15 juillet, arguant de son devoir de protéger la communauté turque de l'île. Nous sommes en ce tout petit matin du 20 juillet 1974."( extrait du livre même)
Sophie Makariou est née en France en 1967, de mère française et de père chypriote grec émigré en France et devenu citoyen français en 1956. Ce qu'elle appelle "l'invasion de Chypre par l'armée turque au coeur de l'été 1974" ,d'après ce qu'elle écrit, changea a jamais sa vie, alors qu'elle n'avait que sept ans, et que la famille vivait en France. Ce "changement " qui fut aussi un tournant décisif dans la vie de son père auquel elle était très attachée, me semble plutôt romancé . Ce qu'elle appelle " invasion " ici , n'étant pas vraiment une, mais au départ une intervention pour protéger la communauté turque qui y vivait, et était à l'époque continuellement mortellement agressée par des partisans d'Enosis. En décembre 1963, Makarios, le président grec chypriote de Chypre ( pays indépendant depuis le 16 août 1960 grâce aux traités de Zurich et de Londres ) déjà prévoyait un plan de réformes nommé Akritas qui allait limiter les droits de la communauté turc au profit de ceux des grecs...Donc avant même le coup d'état de la junte les hostilités envers les turcs étaient déjà ouvertement entamées par Makarios. Makariou ne tient plutôt compte ici que des conséquences émotionnelles pour sa personne, un point de vue trés subjectif, " Nous n'irions plus à Kyrénia marcher sur le port, nous ne prendrions plus de la hauteur à Saint-Hilarion, à Buffavento ou à Kantara, nous n'irions plus voir l'addition du bleu, du noir et du blond à l'abbaye de Bellapaïs, nous ne prendrions plus le café en face de l'arbre de la paresse sur la place du village, face à la maison de Lawrence Durrell ". Effectivement c'est désolant pour elle et sa famille , mais surtout pour ceux ou celles qui vivaient sur l'île, mais l'invasion comme elle insiste à l'appeler était une riposte à une menace réelle et qui s'était en partie réalisée avec le coup d'état de la junte grec qui voulait expulser la communauté turc ( comme en Israël pour les palestiniens) et rattacher l'île à la Gréce.
À l'époque en Turquie se trouvait au pouvoir un homme de gauche très pacifiste, poète à ses heures, du partie CHP ( aujourd'hui premier parti d'opposition, parti fondé par Mustafa Kemal Atatürk, le père des turcs), Bülent Ecevit qui n'avait aucun objectif d'invasion ni d'agression. Makariou le cite en ces termes, " Bülent Ecevit, homme de gauche qui avait déclenché l'invasion « contraint par la nécessité ». Comment être assez naïf pour y souscrire ?" . Qu'est-ce qu'elle en sait vu qu'elle n'avait que sept ans à l'époque.

Un livre très subjectif mais quand même intéressant qui partant de cette date décisive de l'invasion chypriote raconte la vie d'une famille et d'une femme qui seront déchirés entre deux pays, deux cultures. Étrangement c'est plutôt le père chypriote qui tirera ses enfants constamment vers la France, alors que la mère française de la petite bourgeoisie parisienne adoptera sans conditions le pays de son mari . Étrangement aussi, Sophie Makariou est souvent en contradiction avec ses pensées et ses sentiments envers Chypre, " c'est simplement pour moi que s'enracine enfin là, et là seulement, l'idée que je suis de quelque part", pourtant elle se sent bien française renonçant très tôt à son projet de demander la nationalité chypriote. En contradiction de même avec les turcs et l'Islam, où malheureusement elle met ces deux derniers dans le même panier. Pourtant elle a choisi le métier de conservatrice du patrimoine de l'histoire du monde islamique, ce qui pointe la complexité du personnage, également perceptible dans ses relations avec ses parents.

Dans la deuxième partie elle nous fait part de son vécu et expériences au Moyen Orient en tant que conservatrice de patrimoine en parallèle avec sa vie privé qui en est imprégnée, là encore un regard subjectif étrange, "La poésie est louée au plus haut point dans le monde arabe parce qu'il n'y a guère d'autres espaces de civilisation qui aient porté, depuis des siècles, à un tel degré de système la violence". Elle oublie de mentionner qu'une grande partie de l'élaboration de ce système de violence est l'oeuvre des occidentaux, dont en particulier les anglais. Elle critique les turcs "les pillages archéologiques, qui atteignirent à Chypre des proportions colossales et formèrent, après l'invasion et au mépris des règles internationales, la vaste section chypriote du musée d'Archéologie d'Istanbul,". Elle oublie également de mentionner, les allemands qui ont transporté illégalement la quasi totalité de la ville antique d'Asie mineure, Bergame au Pergamonmuseum de Berlin, les américains qui ont dû , aprés de longues années de procès rendre une grande partie des joyaux d'Asie mineure du Métropolitan museum volés aux turcs..........Tout fait au monde a toujours deux faces, pour être équitable il faudrait prendre en considération les deux ensemble et ensuite porter un jugement. Elle ne parle que des chypriotes grecs, et les chypriotes turcs , elle y a pensé ? Eux aussi ont du quitter terres et maisons et bien avant 1974 , et se réfugier dans des enclaves, " un détail " qu'elle mentionne en passant. Je ne suis ni pro ni contre à aucune des deux communautés mais le regard extrêmement subjectif de Makariou m'a gênée. Elle a encore d'autres réflexions que j'ai trouvé trop clichées et superficielles, comme les talibans et du Daech qui ont détruits des sites et monuments archéologiques superbes, c'est vrai. Mais elle oublie de mentionner que ces hordes de barbares ignorants n'auraient jamais vu le jour sans les États Unis et ses soupirants.....J'ai exagéré ce billet, trop long à mon goût, donc je vais m'arrêter là. Malgré ce regard trop subjectif d'une occidentale qui se réclame de ses racines orientales, c'est un livre dont je conseille la lecture, ce n'est pas du temps perdu, Makariou a le mérite d'avoir écrit un beau texte avec entre autre une magnifique visite guidée d'Istanbul, qui compense en parti les faiblesses de fond dont je viens d'en citer quelques-unes.

"....les musées sont des lieux du combat des idées, des lieux essentiels en ce qu'ils affirment haut et fort la foi en une humanité partagée qui conjugue l'universel plutôt qu'elle ne convoque l'exclusion."

Merci infiniment aux éditions Stock et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre.
#Lepartaged'Orient#NetGalleyFrance
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