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Critique de roquentin


Il y a de ces livres dont on a l'impression qu'ils sont complets, qu'ils abordent tous les sujets de la vie. J‘ai ressenti cela avec Kundera et son Insoutenable ... et je ressens la même chose après cette lecture-ci.
Un roman russe écrit par un américain, être plus universel serait difficile. Ici les âmes tourmentées sont moins théâtrales et sont coulées dans un développement narratif extrêmement fluide.
L'histoire est très simple, mais elle est d'une force qui ne nous laissera pas indemne.
Yakov Bok est un pauvre réparateur juif à Kiev, qui à cette époque est une ville russe à part entière. Nous sommes en 1911. le régime des Romanov fête ses trois cents ans, mais devient de plus en plus chancelant.
Des revers militaires contre le Japon à la révolte populaire de 1905, qui est une répétition générale de celle d'Octobre, le régime est très contesté. Nicolas II, en politicien mal dégrossi qu'il est, se crispe et afin trouver de coupables pour ses déboires, qui désigne-t-il? Tout juste, les Juifs, appelés les zhids par les Russes. Il laisse faire la milice des Cent-Noirs, antisémite et d'extrême-droite, pour les persécuter et pour les chasser des villes par le biais de pogroms baignant dans la violence extrême.
Un garçon chrétien de douze ans est retrouvé assassiné, criblé de plus de quarante coups de couteau. Un funeste concours de circonstances fait que Yakov Bok passait par là. Parfaitement étranger à ce crime, il est néanmoins arrêté et jeté en prison, sans qu'un acte d'accusation ne lui soit présenté. Il passera trois ans dans les geôles russes, y subissant les pires exactions et humiliations.
Je vous en fais l'économie. L'appareil judiciaire et politique s'acharne sur lui. Les Juifs sont les boucs émissaires du régime et Yakov va cristalliser toute la haine des Russes chrétiens. Juif et libre penseur, adepte du philosophe Spinoza, il aura très peu de chances d' échapper à son étiquette de coupable idéal. Les quelques fonctionnaires ou gardiens qui lui témoigneront le moindre soutien moral, disparaissent et sont éliminés par le régime. Rien ne le libèrera de cette accusation fallacieuse.
Malgré les pressions qu'on lui assène, Yakov ne tombera jamais dans le piège de “l'aveu spontané”. Il résistera. Il ne s'est jamais assis pour attendre sa fin en acceptant sa condition. Juste avant l'assassinat de l'enfant, il avait quitté son shtetl (quartier juif en yiddish), où il vivait comme un misérable. Pour lui “la vie peut être meilleure qu'elle ne l'est”. C'est ce principe qui lui permet de tenir le coup dans sa cellule immonde.
L'absence d'un acte d'accusation réel et clairement rédigé donne des relents résolument kafkaïens au récit. Petit à petit, le cauchemar de Yakov devient celui du drame de la Russie toute entière et même du monde: l'humanité s'est fait la malle. Haine, violence et mensonge deviennent la norme.
Le personnage de Yakov est complexe et riche à la fois, c'est le destin d'un homme seul qui résiste à une machine bien plus puissante que lui. Comme Meursault, c'est homme qui dit “Non”, bien que la question posée n'est pas la même.
Si je dois résumer ce livre en une seule phrase, la voici “ on ne peut rester assis à se regarder détruire sans réagir”.
C'est un très grand livre, qui se termine sur un dialogue imaginaire extraordinaire entre Yakov et le tsar.
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