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Critique de Marie987654321


L'histoire globale, celle qui donne à lire, sous tel ou tel angle, l'ensemble de l'histoire du monde, me passionne. J'aime y découvrir ce qui nous relie au reste du monde au-delà des frontières de l'enseignement scolaire de l'histoire que j'ai connu, y compris au niveau universitaire. J'aime renverser le regard, voir que ce qui nous parait si spécifique existe ailleurs et que les éventuelles particularités de l'histoire de la partie de la planète que nous occupons sont autres que ce que nous pensions.

Le bref essai de Gabriel Martinez-Gros prend pour point de départ l'analyse que faisait en son temps ce grand intellectuel que fut Ibn Khaldun au XIVème siècle. Khaldun caractérise l'âge des empires comme celui de la pacification et la prospérité ; non pas une ère de douceur qui aurait échappé à la malédiction de la violence mais une époque marquée par le désarmement d'une majorité chargée de produire et d'enrichir un Etat contrôlé par une minorité violente et extrêmement brutale. La paix, dans ces conditions, est une tyrannie.

Dans tout le coeur du récit, l'auteur nous illustre la vigueur et la capacité d'explication de l'analyse de Khaldun, à partir des exemple des empires perse, romain, islamique, chinois, indien entre la fin du néolithique jusqu'au l'aube de la révolution industrielle.
Après la fin d'empire perse, le monde connait deux grandes poussées impériales qui s'ignorent : Rome et la Chine dont l'auteur souligne le parallélisme. Toutes deux ont pacifié d'immenses territoires en construisant avec, contre et grâce, selon les moments, aux "barbares" agissant aux frontières, le limes. L'empire sait utiliser la force combattante des "barbares", puis ceux-ci s'emparent de l'Empire et le recréent pour exploiter les masses pacifiées. le schéma se poursuit, avec des variantes à l'époque de l'empire musulman qui réoccupe peu ou prou les territoire des anciens empires perses et s'étend vers l'Europe et vers l'Asie au contact de la Chine.

Un long développement est consacré aux empires chinois depuis les Royaumes combattants jusqu'à la dynastie Mandchoue (non chinois donc barbare) qui domine la Chine au XVII et XVIII ème siècle, en étant culturellement et matériellement totalement séparé de la masse chinoise. le chapitre qui leur est consacré s'intitule "l'équilibre schizophrénique de l'empire".

Tous ces développements ne sont pas toujours aisés à suivre sans un minimum de point de repère sur l'histoire des territoires évoqués. Pour moi, l'empire islamique, ça va encore ; la chine, j'ai deux ou trois notions mais le chapitre sur l'Inde a été totalement mystérieux.

La conclusion reste le chapitre le plus intéressant par la synthèse qu'il propose et par la lecture particulière de l'histoire de l'Europe qu'il apporte en contrepoint et à partir de cette question de l'empire. Un peu d'européocentrisme du coup de ma part, du coup....

En quelques mots :
L'Europe a été longtemps une périphérie, à l'exception partielle de l'empire romain. Une partie de l'Europe du nord était au-delà du limes, une terre barbare. Au Moyen-âge, du point de vue des empires byzantin ou musulman, mais aussi de l'empire chinois, la terre des Francs peut être évoquée comme un empire de la chrétienté dont les rois dont des Charles. Elle est perçue comme une unité au-delà des divisions concrètes qui en sont la réalité. En effet, l'Europe n'a rien d'un empire même si certaines des ces rois s'appellent Empereur et prétendent poursuivre la grandeur de Rome.

Dès le départ, leur puissance n'a en rien le caractère absolu, violent et sans contrepartie de celle des empires orientaux. le droit et certains contrepouvoirs sont toujours là : la puissance spirituelle et temporelle du pape, les cités et villes libres du moyen-age, le pouvoir des féodaux avec lesquels les rois devront toujours compter. C'est assez décalé du l'image que nous avons de nos souverains présentés comme tout-puissants. Non pas que ce point de vue soit nécessairement faux, mais si on compare son pouvoir à celui de l'empereur oriental, le souverain européen est toujours en train de négocier. Il y a une légalité dans les royaumes européens qui est inexistante pour un empereur chinois ou un sultan ottoman. En contrepartie, les dynasties européennes sont beaucoup plus stables que ces empires qui s'épuisent en quelques générations et sont remplacés par d'autres. Selon l'auteur, l'Europe a trouvé une position impériale uniquement au moment de l'expansion coloniale.

En Europe triomphe l'état national. La révolution industrielle, moment clé, bouleverse les conditions d'enrichissement des peuples. C'est elle selon l'auteur qui met fin à l'histoire des empires. L'Etat arme le peuple supprimant la distinction propre aux empires d'Ibn Khaldun entre les producteurs et les guerriers. Avec la Révolution française et à partir du XIX ème, le peuple s'arme pour défendre la nation. Point besoin de recourir aux "barbares", qui disparaissent, car il n'existe plus de "tribus" en dehors de la puissance des états nationaux. Les particularismes sont pourchassés et réduits au silence. le monde est majoritairement sédentaire, scolarisé et urbain. Les puissances d'aujourd'hui (Etats-Unis, Chine) prétendent à l'hégémonie mais par des voies "pacifiques" de la production, de la science, de la culture ou de l'innovation et moins par la guerre ouverte.
Il termine en évoquant le terrorisme islamiste comme une des marges violentes possibles, avec les organisations criminelles sud-américaines, en gardant une nécessaire circonspection sur ce sujet.
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