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Il n'y a aucun doute, si la doctrine matérialiste de Marx ne peut être appliquée partout sans susciter quelques doutes, sa puissance heuristique s'impose lorsqu'il est question d'expliquer les variations dans la qualité de son écriture. En effet, alors que ses analyses faites en France font état d'un esprit dialectique très fin et à l'ironie fertile, celles qu'il produira dans la misère à Londres montrent toujours une intelligence exceptionnelle, mais leur style est désormais d'une lourdeur assommante, complètement dénuée de finesse et d'ironie, présentant des analyses non plus sur le mode hypothétique, mais comme des vérités absolues.
Engels y trouve tout de même, dans la préface, l'utilisation d'une « loi » : cette fameuse « grande loi du mouvement historique, loi selon laquelle toutes les luttes historiques…ne sont, en fait, que l'expression plus ou moins nette des luttes des classes sociales » (p.64). Mais c'est vraiment à ce Marx au meilleur de sa forme que nous avons affaire ici, puisque Marx traite plutôt ici la lutte des classes sociales comme une hypothèse théorique puisqu'il la met à l'épreuve. (p.65)
Bref, pour en arriver au fait, Marx développe ici un embryon de pensée que l'on pourrait qualifier de manière anachronique, de « structuralisme social » puisqu'il décrit la manière dont une « superstructure d'impressions, d'illusions, de façons de penser et de conceptions philosophiques » (p.104) résultant d'une condition particulière est intégrée par les individus comme des acquis personnels.
Pour prendre quelques exemples particuliers, Marx parle ainsi des membres de la bourgeoisie de la manière suivante : « leur cerveau ne peut dépasser les limites que le petit-bourgeois ne dépasse pas … dans sa vie, …ils sont théoriquement poussés aux … problèmes et aux … solutions auxquels son intérêt matériel et sa situation sociale [les] poussent » (p.105). L'individualisme est également un trait caractéristique de la classe bourgeoise selon Marx qui, lorsqu'il se trouve suffisamment marqué, peut entraîner certains de ses membres à l'aliénation de classe (p.150-151). Marx décrit aussi merveilleusement l'aliénation de la classe des royalistes, qui, croyant défendre leurs intérêts, ferment « opiniâtrement à leurs rois bannis les portes par lesquelles ils pouvaient rentrer » (p.159).
Et cette structure de valeur permet à une société de se couper complètement des univers des autres classes, comme on le voit dans la description que Marx donne des intérêts non égoïstes de la petite bourgeoisie française qui se croit vraiment la mieux placée pour connaître les intérêts de la France entière (p.107-108).
Ainsi, Marx ne se limite pas au clivage existant entre le capital et le prolétariat, mais doit avoir recours à d'autres clivages comme ceux entre la campagne et la ville par exemple (p.92). Il expose aussi qu'une classe peut parfois se fondre en une autre par sa description de l'embourgeoisement de l'aristocratie (p.105).
D'autre part, Marx montre très clairement l'influence des circonstances commerciales sur la mobilisation politique. Lorsque l'économie va bien, personne ne veut agir, lorsque ça va mal, il est préférable que la politique se produise sans heurt, sinon, on y cherchera un coupable avec suffisamment d'angoisse pour s'en inventer un.
Enfin, comme Tocqueville, Marx décrit la dépendance grandissante envers l'appareil d'État (p.121), décrivant l'appareil d'État comme un « effroyable corps parasite…dont le travail est divisé et centralisé comme dans une usine » (p.186-187) qui « anéantit les échelons aristocratiques intermédiaires placés entre la masse du peuple et le pouvoir d'État » (p. 194). Et c'est cet État, par l'impôt très lourd qu'il entraîne nécessairement, qui détruit les liens entre la paysannerie et Bonaparte (p.196).
Ceci étant dit, c'est avec optimisme que Marx décrit cette centralisation mécanique de l'État de manière si apocalyptique puisqu'il juge qu'il s'agit d'un passage obligé pour « dégager à l'état pur l'opposition du pouvoir d'État vis-à-vis de la société » (p.196). Évidemment, il n'avait pu prévoir qu'on ferait de cet État un ersatz de la providence...
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Écrit au fil des événements qu'il décrit, cet ouvrage sur l'ascension impériale de Louis-Napoléon Bonaparte a le double intérêt de la spontanéité et de l'originalité analytique. Puisque la lutte des classes est le moteur de l'Histoire, présenter la mise en place du Second Empire comme le simple produit d'une lutte d'idées et de partis est alors d'une incomplétude crasse. Ainsi, la vision hugolienne de "Napoléon le Petit" confond non seulement l'effet avec la cause, mais en plus grandit sa cible en lui donnant une puissance d'agir sur le cours de l'Histoire que nul homme sur Terre n'a jamais effleuré.

Que l'on soit ou non marxiste, il est toujours passionnant de voir comment l'auteur du Capital éprouve sa théorie sur son Histoire contemporaine. Nombreuses sont les armes théoriques qu'il affûte dans ce texte.

Chez lui, les Légitimistes et les Orléanistes ne sont pas des supporters zélés de leur poulain monarchique respectif, bien qu'ils s'en soient eux-mêmes convaincus, mais deux sous-classes de la grande bourgeoisie formellement opposées entre elles par leurs conditions matérielles d'existence. Les premiers sont la grande bourgeoisie foncière d'Ancien Régime, les seconds la nouvelle grande bourgeoisie capitaliste. La lutte des deux monarchismes n'est ainsi qu'une lutte entre bourgeoisies rurales et urbaines.

Paradoxalement, Marx estime que la République parlementaire, mode de gouvernement essentiellement bourgeois, est le seul écosystème dans lequel ces deux grandes bourgeoisies peuvent cohabiter. En effet, la victoire d'un monarchisme entraînerait fatalement la domination d'une bourgeoisie sur l'autre, tandis que le parlementarisme leur permet une alliance fondée sur la défense de leur caractère bourgeois commun. En revanche, cette République Parlementaire, bien que bourgeoise, tire sa légitimité de la volonté du Peuple. Au moindre péril rouge, la grande bourgeoisie est alors prête à saper son propre régime par crainte des désordres. Pour Marx, cette inclination à la stabilité sociale autant qu'économique de la bourgeoisie est la cause de l'ascension de Napoléon III, au détriment même de ses propres représentants politiques.

Il y a un véritable intérêt esthétique dans cette peinture marxiste de la Seconde République, sorte de monstre autophage voyant son salut dans son propre démembrement. C'est aussi un joli bouquet aux mille nuances de paradoxes et de contradictions, avec ses monarchistes républicains, ses républicains anticonstitutionnels, ses révolutionnaires constitutionnels, ses sociaux-démocrates pris au piège de l'anti-démocratisme, et puis enfin ses paysans plébiscitant un régime dont le caractère centralisateur sera la cause de leur asphyxie.
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Un ouvrage où Karl Marx nous relate et nous explique les "coulisses" du Coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, du 2 décembre 1851.
A travers ses yeux et sa verve aussi poétique que cinglante, Marx nous relate de manière chronologique comme Louis-Napoléon Bonaparte aura "préparé" son coup d'état, à travers les déroutes de la société française, et de la "société politique".
Une lecture qui donne un renouveau à l'histoire que l'on peut lire dans les manuels d'histoire ; dans les détails, mais aussi dans le parti pris de Marx. Ici, aucun subjectivisme. Nous lisons, à travers ses métaphores, ses accumulations littéraires, ce qu'il se passe sous ses yeux et cela, avec son propre esprit.

En somme, une oeuvre que j'ai beaucoup apprécié plus pour sa qualité littéraire qu'historique. D'ailleurs, je trouve Marx presque timoré dans cet ouvrage.
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Voici un livre qui m'a été donné de lire durant mon cursus universitaire de sociologie. D'habitude je rechigne à lire et à apprécier les lectures imposées. Ici la donne fut différente.

J'ai lu ce livre avec une réelle gourmandise ! J'y ai découvert Marx, sa prose, son combat. J'y ai découvert un Marx témoin de son époque et qui réalise un travail très intéressant d'analyse de la société française au 19ème siècle et surtout Marx tente d'expliquer comment une personne, considérée comme un moins que rien par l'élite politique française, est parvenue à devenir Napoléon III.

Ce livre est aussi un pied de nez à Victor Hugo, qui ne portait pas cet empereur dans son coeur. Monsieur Hugo, Napoléon III n'est pas arrivé au pouvoir avec ses petits bras musclés. Il a bénéficié de l'aide de ceux qui le sous-estimaient, plus qu'il n'aurait pu en souhaiter.
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