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Critique de Kirzy


Dès les premières lignes, tu sens que le temps se suspend et que la magie va opérer pour te faire voyager très loin, géographiquement et émotionnellement.

« Tout commença dans la steppe, dans le cercle des regards qui crépitaient avec le feu de camp. La voix du violon de Jag planait par-dessus l'hiver immobile qui parfois arrêtait le coeur des hommes. Ainsi le vieux Johann était-il mort trois jours plus tôt. Jamais il ne connaîtrait l'enfant à venir ».

L'enfant à venir, c'est Anton Torvath, né dans les steppes kirghizes après la Première guerre mondiale au sein d'un cirque itinérant tzigane. Pas un hasard si la citation en exergue provient de l'Odyssée. C'est son destin qui nous est conté. Dresseur de chevaux, fils du Vent, Anton illumine le récit, traversant le chaos du siècle, porté par une sagesse et une humanité qu'il acquiert au fil de rencontres souvent étonnantes.

Les premiers chapitres sur l'enfance sont absolument superbes, miraculeux dans l'équilibre trouvé entre poésie limpide, lyrisme prononcé et évidence. Juste quelques souvenirs épars qui suffisent à bâtir un paradis perdu qui maintient le tracé de toute une vie.

Et puis il y a le noyau central : le Porajmos, le génocide tzigane perpétré par les Nazis. La grande Histoire du XXème siècle avec ses tragédies est égrenée avec une rare subtilité car on ne sent jamais le poids de la documentation. Les pages sur le ghetto de Łódź , le camp d'Auschwitz et les marches de la mort sont exceptionnelles. Surtout sur le ghetto de Łódź avec l'incroyable personnage du doyen Chaïm Rumkowski ( Hubert Haddad en avait tiré un roman fabuleux, le Monstre et le Chaos ).

Pour autant, Avant que le monde ne se ferme n'est pas un roman historique classiquement tourné vers l'hyper réalisme. Alain Mascaro laisse une large part au pur romanesque pour nourrir la dynamique d'un récit en mouvement perpétuel, avant tout un conte initiatique quasi philosophique. Anton le rescapé est un passeur, un témoin, celui qui parlera de son peuple englouti, les Tziganes vivant en marge, regardant le monde de loin. Anton est celui qui tient entre ses mains la mémoire des disparus.


« Il ne mourut pas. Il resta simplement de longues semaines à flotter, indécis, entre cette chambre d'hôpital et la carrière de Mauthausen, à se demander s'il avait encore envie de vivre. Il était comme au bord du vide, prêt à sauter. Il ne sauta pas. Il se souvint qu'en lui vivaient des centaines de fantômes qui attendaient une sépulture. (...) Je suis un tombeau, il n'y a que des morts dans ma mémoire. Des morts et des cendres. »

J'ai été moins emportée par la dernière partie en Inde. Non parce qu'elle est de moins bonne qualité que les précédentes, juste une affaire de goût. Lyrisme et poésie, je les apprécie plutôt lorsqu'ils éclairent la noirceur. Les chapitres indiens sont plus sucrés, tournés vers la résilience hors du commun d'Anton et du peuple tzigane dont la capacité d'oubli sans laisser de cicatrices semble impossible à comprendre pour les Gadjés. Sucrés, sans excès non plus, mais un trop quand même pour moi.

Un roman qui ouvre des fenêtres, parle aux tripes et au coeur, accessible à tous les lecteurs à partir du lycée. Un hymne à la liberté et à la vie, généreux et humaniste.

«  Pour triompher du malheur, il faut le profaner. Et quelle plus belle profanation que la vie elle-même, que la force vive de la vie ? Reprendre la voie du vent, faire des enfants, essaimer en tribus sur les chemins d'Europe et du monde, triompher de la mort en s'en riant ! »
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