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Critique de Erik35


GUÈRE PLUS O.K. QUE K.O.

Être un jeune homme de vingt-quatre ans, "sortir" de la banlieue (sous-entendue : parisienne, puisqu'il est connu que, définitivement, il n'est de bon bec que de Paris et de "vraie" banlieue, sans avoir à citer laquelle, que d'Île de France), avoir été parolier et écrire du rap mais croire, encore, en la force du livre, sans pour autant crier au "courage", comme il est habituel de le faire, souvent par facilité, souvent parce qu'on a rien d'autre à dire (comme si l'expression d'un art devait absolument ressortir et avant tout de cette qualité-là), on peut tout de même estimer cela méritoire. D'autant qu'il y croit, Hector Mathis, à la pérennité de l'oeuvre écrite, à sa primordialité, quand bien même la musique est de tous ses environs, qu'elle aussi est affaire de style et, bien plus encore, de rythme ; il y met du sien pour nous montrer, nous rappeler comme cet acte lui est essentiel, viscéral, inhérent et constitutif de tout son être. Urgent. Rien moins. Et à condition de prendre ce texte pour ce qu'il est en large part, quoi que jamais totalement : un roman intensément intime sans être forcément auto-biographique. du moins, jamais tout à fait.

Mais reprenons.

K.O., c'est, avant toute autre chose, l'histoire de Sitam, un jeune un peu pommé, un peu artiste (dans l'âme), un peu sans le sous et qui, son désir de littérature mis à part, se fiche éperdument des représentations et obligations de notre monde "post-moderne", conchie ses poses et ses rêves bourgeois, aime rien moins que l'errance, la gratuité des relations - et son corollaire : l'absence d'attachement total, définitif, du moins en apparence -, la liberté - jusqu'à un certain point -.
Mais K.O., c'est aussi le roman d'une - longue - fuite. Fuite devant les remous que vivent nombres de pays d'Europe (on nage dans une vague ambiance d'apocalypse mal définie quoi que, semble-t-il, générale), sans qu'on en sache beaucoup plus ; fuite du coeur de Paris dont on apprendra au détour d'une phrase que les bombes y ont fait entendre leur souffle de mort et que les forces de l'ordre y pullulent ; fuite de la banlieue - "La Grisâtre " - devant les risques de poursuites judiciaires inopportunes, après que son ami barman ait pris une balle des mains de sa maîtresse oublieuse et alcoolisée ; fuite dans un autre pays, un lieu dont on ne connait pas la langue (la Hollande), une capitale dont il ne sait aucune règle, où il ne connait personne en dehors de sa "môme" qui l'a accompagné-là ; fuite de soi-même et de ce que les éventuelles racines peuvent dire de vous (à commencer par les mots, inéchangeables désormais) et vous renvoyer à la trogne. Fuite de l'autre, l'aimée, l'aimante, "la môme", comme on disait "la môme Piaf" au temps jadis, en ces temps si lointains où une môme, c'était déjà plus qu'un flirt mais moins qu'une épouse, avec toute la tendresse (un rien paternaliste et sexiste) en dedans, mais qu'il va abandonner par peur de lui, de ce qui vient de lui tomber dessus, oui, c'est vachard, un truc dont on sait qu'on ne guérira jamais, à quelques vingt piges. D'ailleurs, ce coup de semonce médical (un rien ridicule, hors contexte. Et d'ailleurs assez maladroitement, naïvement conté, derrière le besoin de s'essayer à du Kafka hospitalier, comme s'il s'agissait d'un nouveau Château en blouses blanches - l'hommage est visible. Trop -), ça va être le point de départ de son ultime fuite : celle au cours de laquelle il abandonne môme, ami blessé retrouvé, relation de travail forte d'avec un imprimeur libertaire, intellectuel et apôtre résolut du jeu de mot et de la charade à tiroirs (avec, en prime, une plongée dans les classiques du genre dont l'auteur aurait pu se passer sans dommage : "Vic tue Ail", et compagnie). Cependant, cette fuite terminale lui permet aussi de se retrouver en compagnie d'Archibald, un de ces derniers "mange-poussière" que l'embourgeoisement généralisé n'a pas encore atteint - n'atteindra jamais -, un "détraqué" comme Sitam, saxophoniste cacochyme ayant loupé sa carrière (et sa fille) mais pas totalement aveugle puisqu'il sait comme la place du jeune littérateur en herbe n'est pas ici, perdu dans le parc d'un château aux fausses et baroques féeries en ruines et que le jeune homme surnomme de manière générique "le domaine" (une autre interprétation de l'Extension du domaine de la lutte ? La filiation ne plairait peut-être pas à son auteur mais, à une génération d'intervalle, les points communs sont évidents).

Roman du désenchantement, roman de la fuite face au temps présent, invariablement moche et violent, face aux engagements pour soi-même ou pour les autres, roman d'une révolte sans révolution possible, ou l'aigreur le cède souvent à une forme de politiquement correct de l'incorrect qui refuse de se voir tel : les envolées contre les bourgeois, contre nos souffreteuses démocraties, contre la vulgarité et la médiocrité ambiantes, la "modernitude" technologique, l'idée que nous en sommes à la fin d'un monde - DU monde ? - dont il ne resterait plus qu'à rédiger l'épitaphe (je reprends les propres mots de Sitam/Mathis en verlan) sont très certainement sincères et, pour une large part, nous les partageons... Mais elles sont exprimées avec une telle naïveté - niaiserie ? - qu'elle finissent souvent à plat ou, pire encore, parfaitement hors contexte et sans grande profondeur car donnant généralement dans l'expectoration malhabile, dans l'expression un rien convenue d'un mal être qui peine à se définir pour ce qu'il est réellement : l'impossibilité fondamentale à être dans cet univers désenchanté. Roman du Je (du moi-je) comme ultime fin - même terne, déprimé et sombre - de tout, O.K. pourrait presque passer pour une auto-fiction, n'était que cela se déroule dans des temps qui ne sont pas tout à fait les nôtres - voire ! Car en étirant un peu le propos, l'Europe qu'Hector Mathis décrit, sans détail précis, ce pourrait-être celle de l'après Charlie Hebdo, cette Europe qui oscille entre peur horrifique à l'égard du terrorisme, réel ou "ressenti", et reprise en main liberticides des gouvernants sous prétexte, véridique et fallacieux à la fois, de la lutte contre les précédents cités -, un texte dans lequel les proches, supposés ou de passage, de Sitam n'en sont, finalement, que les faire-valoir très flous, aux visages et aux psychologies très peu définis, quasiment interchangeables, comme si ce soleil terne qu'est le narrateur n'avait plus assez de force pour éclairer les reliefs de ses semblables avec la force d'une lumière intérieure en sursis, tellement pâlichonne et auto-centrée.

Certes, il ne se passe pas grand chose au cours de ces quelques deux cents pages tenant autant du road-movie sans cheminement réel (puisque notre narrateur finit par tourner globalement en rond) que du roman grisâtre - à l'instar de cette banlieue elle-même très floue - à défaut d'être noir. Mais, en soi, cela n'est aucunement la marque d'un mauvais ouvrage. On peut exprimer une foultitude de choses, être passionnant, bouleversant parfois, avec un personnage totalement immobile, par le biais d'une oeuvre contemplative, onirique, dense ou en ne décrivant qu'une seule et même action jusqu'à en atteindre l'acmé. La littérature contemporaine est pleine de chef-d’œuvres de ce type-là. Pour cela, il faut aussi du style. Mieux : un style. De fait, Hector Mathis mise beaucoup - tout ? - sur le sien, sur cette langue mi-verte, mi-blette (parce que cherchant absolument ses racines dans un argot antédiluvien) qui, il est vrai, surprend plutôt agréablement au cours des trente premières pages mais qui finit par devenir trop évidente, trop attendue, redondante, systématique au fur et à mesure où l'on avance dans cette absence d'avancée. C'est vrai, cette langue est très travaillée, très construite derrière ses perceptibles et, souvent, intelligentes déconstructions. Tout cela est très référencées et l'on y sent de manière permanente l'hommage à quelques grands anciens - tellement. Trop. - à quelques uns des auteurs de son Panthéon intime : Céline, bien évidemment. Mais aussi le méconnu (bien qu'en vogue dans certains milieux depuis une petite dizaine d'année) Jehan Rictus, poète des miséreux et du parler populaire. On pourrait aussi déceler, mais c'est une simple hypothèse, une certaine connaissance du cinéma réaliste et populaire de l'entre deux guerres, au moins en ce qui concerne les passages dialogués. Il faudrait, nous explique la presse, y reconnaître la violence sensuelle et lumineuse d'un Louis Calaferte, mais nous n'avons pu nous y résoudre, tant il est difficile de retrouver ici les fulgurances de l'auteur de Septentrion ou de la mécanique des femmes. Quant à Louis-Ferdinand Céline, cité plus haut et, indubitablement, le premier des inspirateurs d'Hector Mathis... Il écrase tant le jeune écrivain de son génie atrabilaire et aigre que cela en devient parfois gênant. Il y le jazz, enfin, dont il est question presque page après page, à la manière d'une litanie destinée à faire venir sur le texte sa force brute, sauvage et sa poésie endiablée, dont on peine pourtant à ressentir l'intensité élémentaire, car ce n'est pas tout d'invoquer sempiternellement les Mannes, encore faut-il savoir leur donner un visage... Et c'est un long chemin pour y parvenir vraiment.

Pourtant... Oui, pourtant, il y a de l'envie, du désir de bien faire (et de le faire sincèrement, avec le cœur et la tripaille), de l'intention pure et, ne le dénions pas, les prémices d'une voix dans ce premier roman, dont nous remercions au passage les éditions Buchet-Chastel, via une Masse Critique spéciale - et visiblement d'importance pour l'éditeur, vu le nombre de contributeurs - à l'initiative de Babelio, de nous l'avoir fait découvrir. Malgré des mots sans doute invariablement durs d'une critique plutôt à charge, il y a ce sentiment d'avoir - peut-être- découvert un romancier en devenir, à l'oeuvre première pétrie de bonnes intentions quoi que gâchée, presque de bout en bout, par toutes les erreurs de jeunesse possibles, les chausse-trapes dans lesquelles il s'agit pourtant de ne pas se fouler l'encrier. Ni K.O debout, ni "OK c'est génial", sans doute pour ce texte au chaos bien raisonnable une fois passée la surprise du style et de la forme ; un chaos thématique tellement fourre-tout dans lequel Hector Mathis essaie de (dé)ranger presque tout, tellement, tellement : l'amour, le désenchantement, l'art, le sexe, la musique, l'écriture et la littérature, la mort, la misère, l'amitié, l'égotisme, la maladie, l'errance, l'absence d'avenir sur fond d'apocalypse, de fiction moderne, d'auto-fiction, de roman crépusculaire, d'apprentissage... Certains des plus grands y ont mis l'entièreté de leur existence à traiter tout ce que ce jeune écrivain tente de résoudre en deux cent pages. Maladresse ou prétention, le résultat est à l'image de notre avis : en demi-teinte, et c'est, réellement, bien dommage car il y a du désir vrai chez cet Hector Mathis. Pour plagier Julien Gracq, on a ici de la littérature, sans nul doute, mais on n'a pas encore l'estomac. Espérons pour lui comme pour nous autres, humbles lecteurs, que cela lui viendra !
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