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Critique de ATOS


ATOS
22 septembre 2015
Voilà une satanée lecture ! Une lecture formidable ! Le roman ! Dans la tradition des grands roman picaresques ! Tout y est. L'histoire, la petite et la grande, les personnages, les espaces, les caractères, la fougue, la folie, le rire, les larmes, les dialogues, les mouvements, : un incroyable roman ! Une épopée, une conquête, un rêve, un délire, un échec, une débandade, une guerre, une révolte radicale, un jusqu’au-boutisme effarant  ; Mais la magie de Mac Bride, la magie de son écriture c'est sa proximité avec l'humain. L'humain le grand, le petit, le tremblant, le fiévreux, l'humain dans son ensemble dans sa totalité. Les bons, les méchants..hommes, femmes , enfants, blancs, noirs, métis, indiens, colons, pauvres ou riches... Qui ? Où ? À quels moments ? .Les héros n'existent pas. Il sont ce que l'histoire fera d'eux. Alors voici l'histoire, une petit partie de l'histoire, que pour ma part je ne connaissais pas et que je découvre avec un immense plaisir. John Brown….Un brin don Quichotte, un abolitionniste, un fanatique, un sans quartier, un disons un «  fou de dieu ». Un personnage reconnaissons le, totalement halluciné et hallucinant, qui avec une bible et un fusil part durant quatre ans affronter le pouvoir économique politique social et militaire des Etats Unis.
Et rien ne l'arrêtera jusqu'à sa pendaison en 1859 . Durant quatre ans le capitaine John Brown va faire naitre la peur, la terreur dans l'esprit des sudistes. Échec il y eut, mais la graine était semée.
La possibilité d'une révolte, la possibilité de l'abolition, la possibilité que les choses cessent et que le monde fonctionne autrement. Ce n'est pas ici à l'avènement de l'arbre de la liberté que nous assistons mais à l'envolée de sa graine. Envolée chaotique, bigarrée, parfois chevaleresque parfois totalement ubuesque. De bric et de broc. Voilà comment les choses se sont passées. Pas en ligne droite, pas en sabre étincelant. Dans la confusion, dans un grand n'importe quoi, n'importe comment, dans la foi, la peur, dans le doute, dans l'adversité, dans la trahison, dans la ferveur, la grandiloquence, dans la fuite, dans la sueur, dans le sang. Et avec au milieu de tout ça toujours le regard de l'enfant.
1807 : abolition officielle de la traite des noirs aux États-Unis
1860, le candidat républicain Abraham Lincoln est élu
1861 – 1865 : guerre de Sécession ou guerre civile américaine
1865 : les États-Unis interdisent l'esclavage.
Il aura donc fallu attendre 58 ans après que la dernière livraison marchande de chair humaine « officielle » ait eu lieu sur le sol américain pour que l'abolition de l'esclavage soit inscrit dans la constitution américaine.
Car si la « source d'approvisionnement » était tarie il n'en restait pas moins que le systeme d'exploitation de « la matière première » perdurait .
Deux courants abolitionnistes se détachaient. Le clan des graduellistes, et les immédiatistes.
Faisons simple : les graduellistes envisageaient une abolition de l'esclavage « en douceur » en gageant sur le long terme, sans créer de trop gros remous économiques, sociales, politiques. Les immédiatistes quant à eux étaient partisans d'un abolitionniste total et immédiat au regard des valeurs morales auxquelles ils étaient attachés.
L'histoire n'est pas simple et ne se compte jamais en jours quelque soit le siècle quelque soit les conflits. L'histoire sème toujours ce que les hommes récoltent.
Ce qui est bon c'est que les choses soit dites expliquées, que chacun connaissent l'histoire de son chemin. Rien que de l'humain. John Brown devint un symbole. Ce « vieux fou » de capitaine n'a pas gagné la bataille de Harper Ferry. Mais il a semé et maintenu par ses flots de lettres, de discours l'éveil d'une conscience. «  La chanson John Brown's Body (titre original de Battle Hymn of the Republic) devint un hymne nordiste durant la guerre de Sécession. »
Il n'a pas arrêté la guerre. Il l'annonçait. Et si ce vieux fou avait été écouté ? Qu'elle aurait été l'histoire des Etats Unis ? On ne réécrit pas l'histoire bien sûr mais le moins que l'on puisse faire c'est de mieux la connaître. Voilà ce que McBride nous offre avec cette plume de l'oiseau du bon dieu.
L'histoire fait partie des sciences humaines. Elle nous permet de permet de prendre conscience de nous mêmes. De notre Ensemble.
La parole du vieux John Brown aura été entendue jusqu'en Europe. L'Europe qui n'a pas non plus tout dit tout analysé de sa propre histoire et ses responsabilités.
Et ne soyons pas dupe il n'y a pas eu que de grands élans humanistes dans tout cela, il y a eu également des enjeux politiques, économiques et financiers.
Ne soyons pas dupes mais il faut toujours une étincelle pour que les choses se transforment et nous bouleversent . Parfois lorsqu'une étincelle naît d'un mauvais esprit, c'est pour tous la nuit, mais si elle naît dans le bon cœur d'un homme alors il se peut , bien souvent, que la lumière jaillisse.
«  AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
    Quand on pense aux États-Unis d’Amérique, une figure majestueuse se lève dans l’esprit, Washington.
    Or, dans cette patrie de Washington, voici ce qui a lieu en ce moment :
    Il y a des esclaves dans les états du sud, ce qui indigne, comme le plus monstrueux des contre-sens, la conscience logique et pure des états du nord. Ces esclaves, ces nègres, un homme blanc, un homme libre, John Brown, a voulu les délivrer. John Brown a voulu commencer l’oeuvre de salut par la délivrance des esclaves de la Virginie. Puritain, religieux, austère, plein de l’évangile, Christus nos liberavit, il a jeté à ces hommes, à ces frères, le cri d’affranchissement. Les esclaves, énervés par la servitude, n’ont pas répondu à l’appel. L’esclavage produit la surdité de l’âme. John Brown, abandonné, a combattu ; avec une poignée d’hommes héroïques, il a lutté ; il a été criblé de balles, ses deux jeunes fils, saints martyrs, sont tombés morts à ses côtés, il a été pris. C’est ce qu’on nomme l’affaire de Harper’s Ferry.
    John Brown, pris, vient d’être jugé, avec quatre des siens, Stephens, Copp, Green et Coplands.
    Quel a été ce procès ? disons-le en deux mots :
    John Brown, sur un lit de sangle, avec six blessures mal fermées, un coup de feu au bras, un aux reins, deux à la poitrine, deux à la tête, entendant à peine, saignant à travers son matelas, les ombres de ses deux fils morts près de lui ; ses quatre coaccusés, blessés, se traînant à ses côtés, Stephens avec quatre coups de sabre ; la « justice » pressée et passant outre ; un attorney Hunter qui veut aller vite, un juge Parker qui y consent, les débats tronqués, presque tous délais refusés, production de pièces fausses ou mutilées, les témoins à décharge écartés, la défense entravée, deux canons chargés à mitraille dans la cour du tribunal, ordre aux geôliers de fusiller les accusés si l’on tente de les enlever, quarante minutes de délibération, trois condamnations à mort. J’affirme sur l’honneur que cela ne s’est point passé en Turquie, mais en Amérique.
     On ne fait point de ces choses-là impunément en face du monde civilisé. La conscience universelle est un oeil ouvert. Que les juges de Charlestown, que Hunter et Parker, que les jurés possesseurs d’esclaves, et toute la population virginienne y songent, on les voit. Il y a quelqu’un.
    Le regard de l’Europe est fixé en ce moment sur l’Amérique.
    John Brown, condamné, devait être pendu le 2 décembre (aujourd’hui même).
    Une nouvelle arrive à l’instant. Un sursis lui est accordé. Il mourra le 16.
    L’intervalle est court. D’ici là, un cri de miséricorde a-t-il le temps de se faire entendre ?
    N’importe ! le devoir est d’élever la voix.
    Un second sursis suivra, peut-être le premier. L’Amérique est une noble terre. Le sentiment humain se réveille vite dans un pays libre. Nous espérons que Brown sera sauvé.
    S’il en était autrement, si John Brown mourait le 16 décembre sur l’échafaud, quelle chose terrible !
    Le bourreau de Brown, déclarons-le hautement (car les rois s’en vont et les peuples arrivent, on doit la vérité aux peuples), le bourreau de Brown, ce ne serait ni l’attorney Hunter, ni le juge Parker, ni le gouverneur Wyse ; ni le petit état de Virginie ; ce serait, on frissonne de le penser et de le dire, la grande République Américaine tout entière.
    Devant une telle catastrophe, plus on aime cette république, plus on la vénère, plus on l’admire, plus on se sent le coeur serré. Un seul état ne saurait avoir la faculté de déshonorer tous les autres, et ici l’intervention fédérale est évidemment de droit. Sinon, en présence d’un forfait à commettre et qu’on peut empêcher, l’Union devient Complicité. Quelle que soit l’indignation des généreux états du Nord, les états du Sud les associent à l’opprobre d’un tel meurtre ; nous tous, qui que nous soyons, qui avons pour patrie commune le symbole démocratique nous nous sentons atteints et en quelque sorte compromis ; si l’échafaud se dressait le 16 décembre, désormais, devant l’histoire incorruptible, l’auguste fédération du nouveau monde ajouterait à toutes ses solidarités saintes une solidarité sanglante ; et le faisceau radieux de cette république splendide aurait pour lien le noeud coulant du gibet de John Brown.
    Ce lien-là tue.
    Lorsqu’on réfléchit à ce que Brown, ce libérateur, ce combattant du Christ, a tenté, et quand on pense qu’il va mourir, et qu’il va mourir égorgé par la République Américaine, l’attentat prend les proportions de la nation qui le commet ; et quand on se dit que cette nation est une gloire du genre humain, que, comme la France, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, elle est un des organes de la civilisation, que souvent même elle dépasse l’Europe dans de certaines audaces sublimes du progrès, qu’elle est le sommet de tout un monde, qu’elle porte sur son front l’immense lumière libre, on affirme que John Brown ne mourra pas, car on recule épouvanté devant l’idée d’un si grand crime commis par un si grand peuple
    Au point de vue politique, le meurtre de Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie américaine. Vous sauvez votre honte, mais vous tuez votre gloire.
    Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcirait, le jour où l’on verrait se consommer l’assassinat de la Délivrance par la Liberté.
    Quant à moi, qui ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille avec larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre République Américaine d’aviser au salut de la loi morale universelle, de sauver John Brown, de jeter bas le menaçant échafaud du 16 décembre, et de ne pas permettre que, sous ses yeux, et, j’ajoute en frémissant, presque par sa faute, le premier fratricide soit dépassé.
    Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus.
    VICTOR HUGO.
    Hauteville-House, 2 décembre 1859. »
« John Brown fut pendu. Victor Hugo lui fit cette épitaphe : Pro Christo sicut Christus. John Brown mort, la prophétie de Victor Hugo se réalisa. Deux ans après la prédiction qu’on vient de lire, l’Union américaine « se disloqua ». L’atroce guerre des Sudistes et des Nordistes éclata. » Site des Lettres Académie de Rouen.

pour info : http://expositions.bnf.fr/hugo/grand/308.htm

Astrid Shriqui Garain

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