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Critique de LaBiblidOnee


Petit, mais costaud, ce roman n'est pas sans rappeler le récent « Je suis le fleuve » de T.E. GRAU, que j'avais bien aimé également. Dans les deux cas, le personnage principal est un militaire marqué par une guerre (Corée / Vietnam). Dans les deux cas, ce que le héros y a fait ou vu va le pousser à s'isoler et va provoquer des pensées confuses, une vision incertaine ou déformée de ce qui l'entoure, et un comportement inquiétant vu de l'extérieur. Pour les lecteurs attentifs, il est aussi question d'ossement.


Dans les deux romans également, les auteurs choisissent judicieusement de nous placer au plus près des pensées de leur héros en les faisant narrateurs. Une fois qu'on y est, difficile de distinguer objectivement le vrai du faux, le réel de l'irréel. Car comme le relève le narrateur : « Passez quelques heures dans l'obscurité, à écouter le vent gémir au dessus de votre tête : vous verrez que les démons deviennent vite une notion très réelle. »


Les ficelles du mécanisme mental paraissaient évidentes dans Je suis le fleuve, du fait de références connues à des symboles forts de la mythologie. Si vous connaissez un peu la légende Arthurienne, elles vous paraîtront ici tout aussi révélatrices. Ainsi le jeu de ce genre de lecture consiste un peu à décrypter les messages de nos rêves, comme vous l'avez peut-être déjà fait à l'aide de ces livres sur les symboles qui pullulent dans les librairies. Ces symboles que nos rêves tissent en histoire, afin que notre esprit parvienne à comprendre ce que notre subconscient a perçu et veut nous transmettre.


C'est un peu ce qui arrive au narrateur William Gaspar, sauf que le lecteur ne sait pas trop que croire dans son histoire au départ, du fait de sa situation… particulière ! William Gaspar vit désormais sur la Lune (!) et passe son temps à marcher, explorer, escalader cette montagne. Y cherche-t-il à exorciser son passé, à le ressasser, à le fuir ? Un peu tout cela, peut-être. Ayant été assassin pour l'Etat, il craint aujourd'hui d'être pourchassé à son tour pour être éliminé. Paranoïa ? Mauvaise conscience ? S'est-il fait trop d'ennemis ou bien est-il désormais trop embarrassant pour le laisser effectivement en vie, même dans la nature ? D'ailleurs, ne faut-il pas être un peu fou et dangereux pour vivre ainsi de marches solitaires, lourdement armé ? Et qui sont ces trois mystérieuses personnes qui semblent gravir cette montagne à sa recherche ? Sont-elles là pour l'éliminer ? Sont-ce de simples randonneurs ? Des illusions dues à un SSPT, ou encore un message de la part d'une puissance supérieure…?


« Je ne savais pas si l'on me suivait, et cela m'était égal. Je crois que si j'avais croisé quelqu'un ce jour-là, ou le suivant, je l'aurais abattu sans hésitation et sans plus de motif que l'agacement suscité par sa présence. C'était à cause de ce genre de sentiments que je passais ma vie sur la Lune ou en des lieux semblables. Je ne suis pas de bonne compagnie pour les autres, je le sais. »


Tout en se demandant lui-même s'il est fou, il nous oriente vers l'existence d'une apparition entre rêve et réalité, une « illusion réelle » comme l'aurait été la Dame du Lac pour le roi Arthur. Mais notre cerveau rationnel se demande s'il est perturbé par ce qu'il a vécu, ou si c'est sa mauvaise conscience qui le travaille de cette manière, ou encore si son subconscient tente réellement de lui dire quelque chose par ces « visions » ou illusions, en regroupant des signes minuscules qu'il a perçu tandis que sa conscience les aurait loupés…


« La Lune était propice aux pensées bénignes (…). Je ne me souciais pas de la Sorcière, ni de son stupide chat, ni des misérables illusions dans lesquelles j'avais cherché du réconfort pendant toutes ces années ».


William voit pèle-mêle dans le décor : la sorcière qui tente de chevaucher la (montagne) Lune, puis Cerridwen en guise de « dame du lac », cette déesse galloise de la mort et de la fertilité, de la lune (tient donc) et du savoir caché, celle qui mijota la potion de connaissance dans son chaudron (et qui tente visiblement d'en abreuver notre héros de ses fameuses trois premières gouttes, trois premiers indices, symboles, visions…) ; et puis le chat Palug, en qui l'on reconnaît le Chapalu, né du viol d'une fée par un lutin (toujours dans les légendes celtes et galloises), et que le Roi Arthur combattra… Avec ces éléments et bien d'autres, il ne tient qu'à vous d'essayer d'y voir clair, de démêler le vrai du faux et, si message il y a, de réussir à le capter à temps ! Saurez-vous interpréter les signes ? Car il n'y a pas de fumée sans feu, comme tente de lui faire comprendre son subconscient (et la jolie couverture de Gallmeister)…


Comme dans « je suis le fleuve », la fin ne déçoit pas en se satisfaisant d'un surréalisme trop pratique. Ainsi, même si je ne voyais pas du tout à quoi tout cela pouvait aboutir au début, j'ai passé un bon moment de lecture avec ce roman. L'écriture d'Howard McCord le place pour moi parmi les auteurs américains comme je les aime. Et c'est sa plume qui fait que je mets à ce roman une demi étoile de plus qu'à « Je suis le fleuve » : en 120 pages on est pris dans les tourmentes de William, on tente de les décrypter avec lui, on vit sur la montagne Lune avec lui. Et puis du coup surtout, il a précédé Je suis le fleuve, et il est possible que GRAU ait lu McCORD. Peu importe, car les deux sont intéressants, dans leurs points communs autant que dans leurs différences, même si la plume ici a plus d'ampleur.


Une lecture intrigante que je recommande à ceux qui n'ont pas peur de se perdre dans les méandres du cerveau humain.


« C'est, pour autant que son narrateur le sache, le récit authentique d'une longue folie lucide, une confession oblique, une apologie pro vita sua, un conte imaginaire tissé dans la froidure de l'hiver ou avec les fils de la nuit ».
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